
Projet journalistique Nunavik 1975-2025
Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), l’auteur nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.
Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.
Comme beaucoup d’artisanes nunavikoises, elle a d’abord appris avec sa mère, ses tantes et sa grand-mère, dans un processus traditionnel de transmission du savoir féminin. Puis Winifred Nungak a poursuivi via les cours intégrant la culture au curriculum scolaire. C’est à l’âge de seize ans qu’elle confectionnera sa première parka, cet emblématique manteau du Grand Nord, et dont l’appellation est passée de la Sibérie orientale à l’Arctique canadien. Elle « descend » ensuite à Montréal pour étudier au Collège Lasalle, un établissement collégial réputé pour son programme de design de mode (l’établissement a maintenant des campus sur les cinq continents !), et en sortira diplômée en 2013.
De fil en aiguille, la diplômée revient au village se lancer à son compte
La couturière travaillera quelques mois en entreprise de confection avant de retourner à Kangirsuk. Elle se lance alors à son compte en concevant et fabriquant à la maison des vêtements de divers modèles, surtout pour femmes. Dont beaucoup de parkas, qu’elle vend – très rapidement – via sa boutique virtuelle Winifred Designs. Malgré sa renommée déjà bien établie, et le fait qu’elle ne puisse répondre à la demande, la créatrice travaille seule, sans personnel pour l’assister. L’artiste fait le choix de produire à l’avance ses propres créations, qu’elle priorise sur la confection sur commandes.

Kangirsuk (en inuktitut : la baie) est effectivement logé sur une baie secondaire, à l’Ouest de la grande baie d’Ungava.
Dans la maison partagée avec son fils de huit ans, elle reçoit simplement, faisant passer le visiteur de la salle à manger où elle confectionne les boucles d’oreilles au petit atelier plein de bobines de toutes les couleurs qui occupe un coin de sa chambre, en passant par les mannequins de couture sur roulettes servant de salle de montre.
Depuis deux ans, elle fait également partie du collectif Agguaq, des couturières et artistes inuit qui visitent des musées où l’on trouve des collections de vêtements anciens.
« On est ainsi allé voir plusieurs expositions au Canada, l’an dernier à New-York, pour nous inspirer des styles traditionnels dans nos créations contemporaines. »
Comme si elle n’était pas assez occupée comme ça, Winifred Nungak fait également des tournées au Nunavik pour donner des séances de couture et de création de mode, selon les demandes pouvant venir de différentes organisations. Cette approche de formation semi-formelle se retrouve dans tous les villages, et dans tous les domaines.
Entre l’ancien et le moderne , entre fourrure et retailles de coupe
Cette relation entre l’ancien et le moderne se retrouve dans les matériaux de base : « J’utilise des textiles de fabrication industrielle, durables et imperméables. Car au Nord, le vent humide venu de la mer cherche à pénétrer les vêtements – ce que, par une température de moins cinquante degrés, ma clientèle préfère éviter… ». Comme éléments décoratifs sur les parkas, elle se permet d’intégrer de la peau de phoque, ou de caribou. Et utilise la fourrure de renard ou de loup dans les chapeaux, les mitaines. Les retailles de coupe ? Ils deviendront bijoux, comme ces boucles d’oreilles qui prennent forme sur sa table durant notre entrevue.
Une élégance de tous les jours
La galerie FOFA de l’Université Concordia à Montréal a récemment tenu une exposition intitulée Ilagiit (« la parentèle »), regroupant des œuvres de vingt à trente artistes de toutes les contrées de l’Inuit Nunaat – qui se traduit en français par l’Inuitie. Parmi elles, une pièce de vêtement créée par Winifred Nungak, comme celles d’autres inuites du Nunavik (Victoria Okpik, Julie Grenier) ou des artistes de l’Alaska, de l’Arctique de l’Ouest, du Labrador, du Nunavut et du Groenland. C’est dire que la renommée de la couturière de Kangirsuk est déjà fort bien établie.
Formuler une ligne directrice pour les créations de Winifred ? « L’habitude chez les femmes inuit était d’avoir une tenue de tous les jours, très sollicitée pour les mille et une tâches quotidiennes; et une tenue d’apparat, pour les fêtes, baptêmes, mariages ou funérailles. Dans mon cas, je combine souvent les deux; en recherchant un design d’élégance de tous les jours… ».