Projet journalistique Nunavik 1975-2025
Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), François Bellemare nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.
Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.
Dans le bureau du directeur transpire la sensibilité du créateur culturel, doublée d’une grande affabilité, tandis qu’il résume la raison d’être de son établissement. « Notre mission est la guérison post-traumatique découlant de violence familiale ou d’abus sexuels; ou alors de diverses dépendances. L’alcool est ici un fléau, mais presque supplanté par les drogues dures ». [NDLR : Kuujjuaq fait face à une prolifération de drogues chimiques]. « Notre capacité est de 22 usagers – ou 32 personnes au total, en incluant les proches. Car on travaille autant auprès des individus que de leurs familles, dans un processus collectif de guérison ».
Le parcours de chaque usager dure typiquement huit semaines; bien que certains doivent s’y reprendre à plusieurs fois, quelquefois en parallèle à des traitements hospitaliers — par exemple, pour les victimes de violence. « Pour certaines portions du programme, hommes et femmes restent séparés; autrement, les activités sont mixtes. Nous ajustons toujours aux besoins de chacun notre approche bio-psycho-sociale-spirituelle ».
L’immensité arctique comme espace de guérison
Ainsi revient dans la conversation – comme dans presque partout au Nunavik — l’importance de passer le plus de temps possible out on the land (sur le territoire); en d’autres mots, arpenter cette infinie toundra arctique. Ce qui, pour ce peuple jusqu’à très récemment encore semi-nomade, équivaut à un outil de rétablissement, de guérison; historiquement, la toundra reste le début et la fin de l’Inuitie.
Plusieurs volets sous la lumière, d’autres toujours dans l’ombre
Invité à formuler trois accomplissements majeurs de son établissement, puis trois objectifs non atteints, Etua Snowball répond sans détours. « Premièrement, Isuarsivik fonctionne comme une ressource inuit, au service des Inuit. Aussi, l’intégration des activités traditionnelles est un autre actif majeur. Troisièmement, notre approche familiale de guérison convoque non seulement l’usager, mais également son entourage. On pourrait peut-être bientôt exporter ce concept gagnant vers d’autres centres de guérison, par exemple dit-il sourire en coin… vers le Sud du Québec ? ».
Et trois aspects toujours sans succès ? « On n’a pas encore assez d’activités artistiques, se désole cet écrivain-musicien reconnu; comme manquent toujours des cours d’Histoire inuit, qui elle aussi aide à se reconnecter à nous-mêmes ».
Numéro deux : le recrutement est partout difficile, mais au Nunavik, la rétention du personnel local est encore plus ardue. « Partout au monde, le travail social peut brûler les meilleures vocations. Et dans une petite société comme la nôtre, un employé risque à tout moment de croiser la sœur d’un usager, mécontente d’une nouvelle rechute de son frère alcoolique – ce qui peut être terriblement démotivant pour le personnel. Mais malgré tout ça, on doit augmenter la proportion d’employés inuit, qui combinent compétences professionnelles et maitrise de la langue ».
Son troisième défi est encore plus ambitieux : « Même si on fait un peu de formation à l’interne, on ne s’est pas encore doté d’une certification professionnelle inuit. Mais on y travaille, en partenariat avec le Cégep Marie-Victorin, de Montréal ».
Et la question des « primes » salariales (un sujet entendu ailleurs au Nunavik), souvent octroyées aux gens embauchés du Sud, mais pas aux employés locaux ? « Bien sûr, en ayant rapproché les deux échelles de traitement, cela donne un incitatif à la rétention de personnel ».
(…)
Prends ma main vers la guérison
Prends ma main vers la paix
Prends ma main vers des eaux calmes
Prends ma main vers Isuarsivik
(…)
— extrait de la chanson Tasiulaurluk (en français : Se tenir par la main), dédiée à Isuarsivik par la chanteuse inuit Béatrice Deer, originaire du village de Qaqtaq.
Les plus et les moins de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois
Si on renégociait la CBJNQ, que conserver ? Que changer en priorité ? Etua Snowball répond :
« En négociant directement avec le Québec en 1975, on a enfin établi au Nunavik des instances modernes, faisant l’envie de bien d’autres peuples autochtones. Un actif majeur !
Par exemple, l’enseignement de l’inuktitut dans nos écoles a définitivement mis fin au principe des pensionnats autochtones, jadis établis par le fédéral ».
Mais il souligne un lourd passif : « La division des terres — que d’ailleurs la majorité des Québécois ne saisissent pas vraiment — nous a retiré le contrôle sur 90% du territoire. Ça, ça doit changer ».