le Mercredi 4 décembre 2024
le Mercredi 6 novembre 2024 8:00 Arts et culture

Mehdi Cayenne : «J’aime toutes ces nuances de francophonies que je rencontre»

Mehdi Cayenne a donné son premier concert si loin au Nord. Une performance qui a enivré le public d'Iqaluit, le 25 octobre dernier au Franco-Centre. — Crédit : Kara Hoang
Mehdi Cayenne a donné son premier concert si loin au Nord. Une performance qui a enivré le public d'Iqaluit, le 25 octobre dernier au Franco-Centre.
Crédit : Kara Hoang
En concert sur invitation de l’AFN le 25 octobre, le chanteur franco-ontarien et québécois, originaire d’Alger, a conquis le Franco-Centre d’Iqaluit par son énergie et son talent. Parcours artistique, lyrisme engagé et francophonie : entrevue pour Le Nunavoix.
Mehdi Cayenne : «J’aime toutes ces nuances de francophonies que je rencontre»
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C’était votre premier concert ici à Iqaluit. Quelles sont vos impressions?

 Formidable. Outre la beauté brute du territoire, c’était très touchant d’être accueilli ici. C’est comme une forme de radicalisme d’avoir la chance de toucher à quelque chose qui est littéralement plus natif, au Canada. Atterrir dans une telle mixité de culture, c’est ce qui me frappe. Il y comme une possibilité de nouveau monde parallèle. J’ai vu des Inuit, des gens issus de la diaspora dans la même place… c’est quelque chose de très rare dans les autres endroits où j’ai pu jouer. C’est un vrai privilège d’avoir été invité ici.

« Créer du sens avec le chaos du monde »

Racontez-nous un peu votre parcours, le Mehdi Cayenne Club…

J’ai très vite appris à jouer des instruments. Je travaillais beaucoup sur le son de façon « autodidacte » puis j’ai commencé à écrire mes premières chansons autour de mes 15 ans. Des poèmes aussi, quand j’étais plus jeune. Le rapport avec le mot, avec le son, ce mélange dans une chanson : je pense que c’était une manière de créer du sens avec le chaos du monde. Le Mehdi Cayenne Club est né en 2009. C’était un peu comme des évadés d’une prison qu’on a dans la tête, en référence au bagne de Cayenne. La composition du groupe a toujours évolué et Mehdi Cayenne, c’est devenu plus simple. Le concept du Mehdi Cayenne Club est toujours présent dans tout ce que je fais. Je réalise que c’était un nom initiatique, bâti par ma route.

Votre concert s’inscrivait dans le cadre d’une tournée nationale pour votre dernier album Animal Chic. Quelles sont les origines de ce titre?

 C’est le genre d’antonyme qui me ressemble. Une sorte de contraste qui opère tout le temps dans mes chansons, des choses douces et abrasives, joyeuses et tristes… C’est un peu de moi-même, cette longue route qui m’a amené à faire des spectacles dans salles, des cafés, des théâtres mais aussi dans la rue, dans des écoles, des prisons… C’est ce qui a forgé l’animal chic.

C’était également un album auto-réalisé. Expliquez-nous le processus?

Travailler sur une chanson, c’est toujours une résolution de problèmes. Il y a des choses qui marchent, d’autres non. À force de produire avec mes collaborateurs de la première heure, j’ai développé des capacités pour résoudre ces problèmes. C’est une progression naturelle, d’arriver avec une conception des chansons plus approfondie au niveau des textures, de la forme. Attention, ce n’est pas le résultat d’un manque à gagner de mes collaborations! Je pense plutôt à une prise de conscience et de contrôle. Il y a des avantages à se rapprocher de sa facture sonore. C’est une dynamique d’équilibre, plus qu’une décision finale.

L’énergie dégagée par l’artiste a su convaincre le public de se lever pour quelques pas de danse à ses côtés.

Crédit : Brice Ivanovic

On ressent beaucoup d’énergie sur la scène, avec une grande interaction avec le public. Quel est votre petit truc pour casser cette barrière? 

C’est d’être à l’écoute des gens dans la pièce. Il y a comme une danse, être persuasif sans être insistant. Quand tu veux que les gens chantent, dansent, tapent des mains : tu dois les persuader de le faire, mais tu ne peux pas les forcer. Je me concentre sur le fait d’être content d’être ici pour jouer mes chansons. Il faut que tu aies un mouvement de danse en toi, constant, qui se ressente dans l’énergie que tu envoies. En général, ce n’est pas difficile pour moi. Parfois un peu plus, même si c’est rare, parce que les gens sont tellement timides que tu n’arrives pas à percer le mur. Il y a comme une lutte là-dedans. Je pense que c’est la même lutte dans la vie, entre la joie de vivre et l’amertume de la vie.

« J’aimerais que mes chansons ne soient pas d’actualité »

Précédemment, vous évoquiez le « chaos du monde ». Vous avez eu des mots sur la situation actuelle en Palestine, une touche de politique dans vos chansons. Ce sont des sujets qui occupent une grande place dans votre création?

Ces questions me démangent. C’est le point de départ de ce que je fais. Ça me travaille tellement que pour arriver honnêtement devant les gens, je me dois de l’exprimer. Le monde est une scène. J’ai la sensation d’avoir besoin de sens et de connexion humaine dans mon œuvre. J’aimerais que ces chansons ne soient pas d’actualité. Je ne vis pas mon existence comme politique dans l’intime. Nous le sommes par des choses qui sont hors de notre contrôle. Avoir le nom que j’ai, mon histoire, mon parcours… être dans la sphère publique, faire des spectacles et prendre parole devant les autres sans faire ces chansons, ce serait comme éviter de faire face au contraste qui opère. Laisser ça dans l’angle mort, ce serait manquer de respect à tout ce qui a fait de moi ce que je suis.

Vous vivez à Montréal, mais vous avez aussi vécu au Nouveau-Brunswick, en Ontario, joué à travers tout le Canada. Comment percevez-vous la diversité francophone?

 J’aime toutes ces nuances des francophonies que je rencontre. Elles deviennent un peu comme des membres de ma famille. Je suis conscient des rapports entre l’Ontario et le Québec par exemple, l’Acadie… Ce qu’elles ont toutes en commun? La lutte pour leur survie. Même si au Québec elle semble moins urgente, elle est le fruit du même combat. Il y a encore des dynamiques de pouvoir entre des francophonies plus grandes et d’autres plus petites, plus facile à trouver moins légitimes sur la scène francophone nord-américaine. Je pense que c’est un manque à gagner. Mais ce qui est beau dans la francophonie, c’est à mes yeux un pont de compréhension directe des enjeux de préservation et d’évolution de la langue sur les territoires. Iqaluit et le Nunavut en sont un exemple parfait.