Projet journalistique Nunavik 1975-2025
Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), l’auteur nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.
Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.
Poussé par la curiosité, c’est ainsi à l’improviste que nous y rencontrons Vallee Charlie Gordon, père de famille d’Aupaluk, en train de trancher un morceau de caribou gelé. Sur l’étagère voisine, sont offerts plusieurs ombles de l’Arctique, ce poisson emblématique du Nord. Charlie accepte volontiers d’expliquer comment fonctionne ce système « traditionnel-moderne ».
L’héritage d’un ancien mode de distribution
Les Inuit inscrits au Registre des bénéficiaires peuvent y aller à toute heure et prendre gratuitement viande ou poisson pour leur propre consommation. Établi par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), ce registre liste depuis 1975 tous les Inuit du Nunavik, leurs conjoints et descendants. Souvent appelés « les bénéficiaires » de cette Convention, ils ont ainsi droit à d’autres avantages : droit de vote aux instances dites « ethniques » comme la Société Makivvik ou au Conseil de la jeunesse Qarjuit, accès aux logements municipaux, prix réduits sur l’essence. Mais sans les exemptions fiscales toujours à ce jour accordées aux « Indiens » vivant sur les réserves sous tutelle fédérale.
Ce système de congélateur communautaire permet à toutes les familles, même celles à revenus très modestes, de s’alimenter à base de nourriture traditionnelle (saumon, ombles, caribou, phoque, béluga) fournie par les chasseurs du village qui y déposent la portion qu’ils ne consommeront pas eux-mêmes.
Ils sont rémunérés par le Programme d’appui aux chasseurs, géré par chaque municipalité et financé par des accords régionaux impliquant le Gouvernement du Québec.
Des produits achetés, sans être vendus
Via ce système propre aux Autochtones du Nord – le Nunavut a ainsi son propre système – ces produits de chasse et de pêche sont donc achetés… sans être vendus. Il y intègre un calcul de quotas pour certaines espèces animales, afin de préserver les ressources. Le béluga est un bon exemple : espèce protégée, seules les populations inuit ont droit de le chasser, suivant des quotas souvent âprement négociés chaque année entre les associations de chasseurs de chaque zone. Ce programme est en fait la version moderne d’un très ancien mode de distribution, comme l’évoque notre interlocuteur, Charlie Gordon.
« Jadis, un même groupe d’inuit semi-nomades alternait continuellement entre différents campements, selon la saison. Les chasseurs (d’habitude seuls les hommes et les garçons assez grands) partaient souvent pour plusieurs jours. Pendant ce temps, les autres membres (femmes, jeunes enfants, ainés) s’occupaient aux mille et une tâches ayant lieu à proximité du campement : cueillette de fruits ou de crustacés, tannage des peaux et confection de vêtements, et bien sûr soins aux enfants ou personnes invalides ». Bref, une répartition toute traditionnelle des tâches.
Au retour de chasse, le gibier était réparti entre les familles du groupe, dans une économie en circuit presque fermé, et largement non-monétaire.
Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que les Inuits ont commencé à vendre des peaux d’ours ou de renard aux comptoirs tenus par des agents de la Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée à Londres, ou de son concurrent Réveillon Frères, basé à Paris. Et à acheter quelques produits – farine, sel, armes à feu, munitions, pièges de fabrication industrielle – qui leur étaient vendus par les agents de ces mêmes compagnies.
C’est ainsi qu’ils se sont lentement sédentarisés. Ce n’est en fait qu’au tournant des années 1970 que la vie pleinement semi-nomade a pris fin.
D’après la majorité des commentaires recueillis sur place, la version actuelle du système est plutôt équitable. Il assure d’une part un revenu aux chasseurs, en prise à des hausses substantielles de leurs dépenses comme l’entretien de l’équipement et des véhicules (bateau hors-bord ou motoneiges, ou de plus en plus souvent l’hydravion), le prix des armes, des munitions ou de l’essence. D’autre part, et c’est peut-être là le plus important, il préserve surtout l’accès à la nourriture traditionnelle pour toute la communauté locale.