le Dimanche 6 octobre 2024
le Mercredi 11 septembre 2024 8:00 Actualités

Vers un assouplissement des règles concernant le commerce du phoque ?

Résidente de Tuktoyaktuk aux Territoires du Nord-Ouest, Erica Donovan est l’artiste derrière She Was A Free Spirit, une marque très populaire auprès des créateurs autochtones du pays. — Crédit : She Was A Free Spirit - Instagram
Résidente de Tuktoyaktuk aux Territoires du Nord-Ouest, Erica Donovan est l’artiste derrière She Was A Free Spirit, une marque très populaire auprès des créateurs autochtones du pays.
Crédit : She Was A Free Spirit - Instagram
Une première évaluation complète de la Commission européenne concernant l’interdiction de commercialisation des produits dérivés du phoque est en cours. Cette initiative vise à évaluer si les règles en vigueur restent adaptées à leur finalité, en mettant l’accent sur leurs conséquences socio-économiques et leur incidence sur les populations de phoques.
Vers un assouplissement des règles concernant le commerce du phoque ?
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En 1983, l’Union européenne (UE) interdisait l’importation de certaines peaux de bébés phoques en réponse aux préoccupations de nombreux citoyens concernant le bien-être animal.

Puis, en 2009, une interdiction générale de mise sur le marché des produits dérivés du phoque a été créée, à deux exceptions près.

Ces dérogations s’adressent aux Inuit et aux peuples autochtones qui peuvent vendre des produits dérivés du phoque sous certaines conditions.

Plusieurs éléments à respecter

L’article 3 du Règlement (UE) 2015/1775 prévoit une exception qui stipule que la mise sur le marché de produits dérivés du phoque est autorisée uniquement pour les produits dérivés de l’animal provenant des formes de chasse pratiquées par les communautés inuit ou d’autres communautés autochtones.

Toutefois, trois conditions doivent être remplies : la chasse doit être traditionnellement pratiquée par la communauté, elle doit être réalisée dans le respect du bien-être animal et se doit d’assurer la subsistance de la communauté et d’y contribuer.

Au moment de sa mise sur le marché, un produit dérivé du phoque a l’obligation d’être accompagné d’un document attestant du respect de ces conditions.

« L’importation de produits dérivés du phoque est également autorisée lorsqu’elle présente un caractère occasionnel et concerne exclusivement des marchandises destinées à l’usage personnel des voyageurs ou des membres de leur famille. La nature et la quantité de ces marchandises ne peuvent pas pouvoir laisser penser qu’elles sont importées à des fins commerciales », peut-on lire dans le Règlement.

La population du Groenland, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut avait jusqu’au 7 août dernier pour faire entendre leur voix au sujet de cette réglementation. Les commentaires recueillis permettront d’orienter un rapport au Parlement européen.

Des consultations ciblées ont également été organisées avec les acteurs clés, dont le gouvernement du Nunavut et des représentants des communautés inuit du Nunavut.

Un résumé des résultats de l’appel à contributions et de la consultation publique sera publié au début du mois d’octobre 2024.

Les conclusions de l’ensemble de cette évaluation, qui survient 15 ans après l’entrée en vigueur de l’interdiction générale de mise en marché, seront présentées dans un Document de Travail des Services de la Commission qui sera publié à la fin du premier trimestre 2025.

Erica Donovan dit encore recevoir des demandes de commandes provenant de l’Europe après sa participation à la semaine de la mode à Milan en 2022.

Crédit : She Was A Free Spirit – Instagram

Une réglementation trop restrictive ?

Toutes les conditions à respecter quant à la mise en marché des produits dérivés du phoque amènent de nombreux Inuit à souhaiter que ce Règlement puisse être levé.

Résidente de Tuktoyaktuk aux Territoires du Nord-Ouest, Erica Donovan est l’artiste derrière la marque She Was A Free Spirit.

Créant principalement des bijoux, la réglementation actuelle l’empêche de pouvoir expédier ou vendre des produits du phoque à l’international, et ce, même si la demande y est présente.

« En mars 2022, je suis allée à Milan pendant la semaine de la mode pour présenter ma marque She Was A Free Spirit avec Indigenous Fashion Arts. Dans ma collection, il y avait des boucles d’oreilles en peau de phoque. Je reçois encore à ce jour des demandes et commandes de Milan et de la région européenne », explique la créatrice.

L’artiste est bien aux faits du processus d’évaluation en cours concernant l’interdiction européenne du commerce des phoques.

Elle espère que l’exercice mènera à la levée de l’interdiction pour les artistes autochtones d’exporter leurs produits, lui permettant du même coup d’honorer ses commandes reçues de clients européens et de propulser sa marque à un autre niveau.

« J’aimerais voir la stigmatisation de l’utilisation de la peau de phoque au sein des communautés autochtones disparaître. C’est insultant! La société doit s’éduquer sur notre mode de vie autochtone. Nous ne sommes pas des sauvages, nous respectons tout ce qui vient de la terre et nous utilisons tout lorsque nous récoltons un animal. Si cela nous permet d’utiliser de la fourrure, alors qu’il en soit ainsi! », affirme Erica Donovan.

La population du Groenland, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut avait jusqu’au 7 août dernier pour faire entendre leur voix au sujet de cette réglementation. Les commentaires recueillis permettront d’orienter un rapport au Parlement européen.

Crédit : She Was A Free Spirit – Instagram

Selon l’artiste Ame Papatsie, qui est passé maître dans la fabrication de masques en peau de phoque, l’actrice française Brigitte Bardot a ruiné le gagne-pain des Inuit en dénonçant la chasse aux blanchons en 1977.

Résident de Pangnirtung, il se revoit enfant et se remémore tous les bons souvenirs liés à la chasse aux phoques.

« La chasse estivale était mémorable pour tout le monde. Beaucoup de nourriture et de peaux ont été partagées. Une fois que nous avons attrapé le phoque, nous avons dû l’écorcher, le dépecer et partager tout ce qui était nécessaire et donner le reste aux chiens. Ma mère prenait la peau et commençait à dépecer sur un petit morceau de contreplaqué en biais, avec son ulu… Mes frères et sœurs et moi avions l’habitude d’attendre les découpes pour le goût, c’était toujours bon », se souvient-il.

Après avoir séché les peaux, les femmes décidaient quelle peau était bonne pour les vêtements et laquelle pouvait être vendue.

« À l’époque, nous avions beaucoup de vedettes qui visitaient le Nord. Le tourisme était bon, l’industrie de la pêche était bonne. L’économie était en croissance », ajoute-t-il.

Enfant, l’odeur agréable du ragoût de phoque l’attendait à la maison.

Alors qu’il était étudiant, un projet qu’il avait proposé a permis aux élèves de son école de fabriquer un kayak.

« C’était une grande nouvelle pour la ville parce qu’il fallait beaucoup de chasseurs et beaucoup de couture. La planification a été longue ; toute la viande et le stockage », relate l’homme.

Selon lui, lorsque la chasse s’est arrêtée, ce fut horrible. Tout comme Erica Donovan, il souhaite maintenant que les choses changent.

« Les décisions sont prises parfois sans le rapport complet, où les conséquences sont plus grandes qu’un pays… », conclut Ame Papatsie.