Les connaissances sur le pergélisol sous-marin sont relativement récentes et peu élaborées. Ce n’est que depuis le milieu des années 70 que son existence est avérée, notamment grâce aux travaux de John Ross Mackay et de la Commission géologique du Canada.
« Dans la mer de Beaufort, l’épaisseur du pergélisol atteint 700 mètres dans certains cas », note un chercheur de cet organisme, Mathieu Duchesne.
Plus tard, des cartographies successives des mêmes sites dans la mer de Beaufort, de 2010 à 2019, ont permis de réaliser que ce pergélisol, comme celui sur le continent, est soumis aux changements climatiques et fond.
Glace pure
En 2022, le brise-glace Araon, affrété par le le Korea Polar Research Institute, partenaire de recherche de la Commission géologique du Canada et du Monterey Bay Aquarium Research Institute (Californie) est retourné sur place investiguer les dépressions avec des équipements de pointe, dont un véhicule sous-marin télécommandé.
« C’est à ce moment que la découverte a été faite », souligne Mathieu Duchesne, qui dirige depuis cinq ans le projet de recherche.
Cette glace, explique le scientifique, se trouve sur et sous le fond marin et elle se décortique en plusieurs couches pouvant avoir un mètre d’épais, parfois séparées par des sédiments. L’hypothèse actuelle est que ces couches s’étendent jusqu’à une dizaine de kilomètres des dépressions.
Répercussions
Lors du passage du brise-glace Araon en mer de Beaufort en 2022, les scientifiques ont constaté que les dépressions dans le fond marin s’étaient accentuées de 30 mètres en seulement trois ans.
Cette transformation, combinée à la présence de couches de glace, a une incidence sur l’activité humaine, souligne Mathieu Duchesne, donnant l’exemple d’initiatives européennes pour relier des câbles de télécommunications de fibre optique aux communautés nordiques.
« Les câbles seraient déposés sur le fond marin, précise le chercheur. Mais il faut s’assurer qu’il ait la capacité portante pendant plusieurs décennies pour ne pas endommager les câbles. Maintenant, on ajoute la présence de ces couches de glace. Est-ce une bonne nouvelle? Est-ce qu’on aura une meilleure capacité portante du fond marin ou avec le réchauffement des océans ça risque de rendre le fond marin encore plus sensible? »
Questions
S’il a fallu attendre avant de rendre la découverte publique, c’est qu’il fallait prendre le temps de l’interpréter et de confronter les hypothèses des chercheurs. Une présentation a été faite à l’American geophysical union en décembre 2023.
Un article a été soumis au Journal of geophysical research mais plusieurs questions restent aujourd’hui sans réponse. On ignore pourquoi l’eau douce du pergélisol ne s’est pas mélangée à l’eau salée de la mer, pourquoi elle est exempte de boue, ainsi que la chronologie du phénomène, par exemple, les couches de glace s’ajoutent ou diminuent avec le temps.
La mission de 2025
Des datations doivent être faites à partir d’échantillons de glace déjà ramenés en laboratoire. Une autre mission est prévue dans la mer de Beaufort en 2025 pour amasser des données supplémentaires.
« On veut aussi arriver à comprendre la distribution spatiale [de la glace sous-marine], précise Mathieu Duchesne. Est-ce seulement à un endroit précis, qui est le plateau continental de la mer de Beaufort, est-ce que c’est plus répandu? On peut supposer qu’il y a des textures de fond marin un peu plus loin, vers l’ile de Banks. On prévoit explorer cette région. »
On retrouve aussi du pergélisol sous-marin près du Labrador et de l’Alaska. La diffusion des travaux du consortium américano-canado-coréen pourrait stimuler d’autres scientifiques à joindre la recherche et à y apporter de nouvelles technologies.
Les missions dans l’Arctique sont très couteuses, rappelle M. Duchesne. « C’est un milieu hostile, éloigné. Deux semaines de temps de bateau coutent 2,5 M$ US. »