En 2019, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) publiait son rapport final. Il contenait 231 appels à la justice distincts visant les gouvernements, des institutions, des fournisseurs de services sociaux et les Canadiens.
« Quand le rapport final a été publié, il y avait beaucoup d’espoir pour du changement », a rappelé la cheffe régionale de l’APN pour le Nouveau-Brunswick, Joanna Bernard, en conférence de presse le 3 juin.
« Alors que nous réfléchissons aux cinq dernières années, il est clair que la prévention de la violence contre les femmes, les filles et les personnes de divers genres des Premières Nations demeure urgente. Notre bilan montre un mélange d’avancées et de reculs. […] Dans de nombreux domaines, aucun progrès n’a été enregistré. »
La cheffe nationale de l’APN, Cindy Woodhouse Nepinak, demande au gouvernement de redoubler d’efforts. « Nous appelons à la solidarité des Canadiens, a-t-elle déclaré lors de la même conférence de presse. Ce n’est pas une bonne journée, c’est une journée où on se souvient de l’horreur. »
Volonté politique, racisme et engagement
« Je crois que c’est une question de volonté politique », a répondu Cindy Woodhouse, questionnée sur les raisons pour lesquelles si peu d’avancées ont été accomplies en cinq ans. « On a écrit [ce rapport] et c’est comme s’il tombe un peu à plat. »
« Le gouvernement semble avoir cette tendance de financer des rapports, mais l’engagement n’est pas là après leur publication. Alors, on pourrait même dire qu’il gaspille de l’argent », a lâché Joanna Bernard.
Le chef régional par intérim de l’APN au Manitoba, Sheldon Kent, a dénoncé le racisme persistant au Canada. « Nous sommes tous des êtres humains, nous tous. On veut tous une belle vie, a-t-il dit. Mais il faut que les politiques et les cœurs des gens changent. Nous devons agir collectivement. »
Une petite robe rouge accrochée à son veston, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, a assuré que le gouvernement poursuit son travail.
« Ultimement, nous allons mettre fin à cette crise », promet-il en mêlée de presse, le 3 juin.
« Il y a du travail à faire qui prendra, dans certains cas, des générations. »
Selon lui, parmi les 215 appels à la justice qui concernent le gouvernement fédéral, des avancés ont été réalisées pour 107 d’entre eux, 53 autres ont été mis en action. Le ministre n’a toutefois pas précisé à quel stade ces 107 appels sont rendu
Il a aussi dit qu’avec tout le respect qu’il doit à la cheffe nationale de l’APN, il devra examiner le nombre d’appels mis en œuvre. D’après lui, plus que deux des 231 sont déjà mis en place.
D’autres enjeux à affronter
Joanna Bernard a profité de cette journée pour parler de l’incarcération des femmes autochtones.
« En plus de la crise des filles et femmes disparues et assassinées, il existe un autre problème troublant : la surincarcération de [celles-ci]. Cette surreprésentation dans les établissements correctionnels est liée aux mêmes problèmes que ceux qui ont conduit à l’augmentation de la violence à leur égard, ce qui les expose également à un risque de “surpolicage“ et de surincarcération. »
D’après le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC), 50 % des femmes incarcérées au Canada sont autochtones, alors qu’elles ne représentent que 5 % de la population de femmes au Canada. Cette surreprésentation a atteint ce niveau pour la première fois en 2022.
Selon Joanna Bernard, mettre en œuvre les appels à la justice permettrait en partie de s’attaquer à ce problème. « C’est une question de vie ou de mort pour les filles, femmes et bispirituels autochtones. »
Au sujet des services correctionnels, le ministre Gary Anandasangaree explique que « ces institutions ne sont pas facilement transformées. Ce qui a pris 154 ans à construire, d’une perspective coloniale, ne sera pas transformé en cinq ans ».
Juin, mois thématique
Duane Aucoin représente la région du Yukon au Conseil 2ELGBTQQIA+ de l’APN. Il rappelle que le mois de juin est le Mois national de l’histoire autochtone, mais aussi celui de la Fierté.
« Des 32 appels à la justice pour les personnes bispirituelles, aucune n’a été mise en place », a-t-il déploré.
Il appelle à des réformes au sein de la police. « Peu de progrès ont été réalisés pour garantir la sécurité des personnes bispirituelles dans le contexte policier. Bien que certains services de police offrent des formations sur les questions bispirituelles, celles-ci ne sont pas universellement disponibles et ne sont pas obligatoires. »
Duane Aucoin ajoute qu’en raison de la méfiance envers les forces policières, de nombreuses personnes bispirituelles ne dénoncent pas les violences qu’elles subissent.
L’alerte robe rouge
Le 3 mai dernier, le Canada et le Manitoba ont annoncé qu’ils unissaient leurs forces pour développer un système d’alerte qui informerait la population lorsqu’une fille ou une femme autochtone est portée disparue.
« C’est un petit pas, mais un pas important, pour s’assurer que nos proches reviennent à la maison », avait indiqué la députée néodémocrate Leah Gazan, dans le communiqué de presse annonçant le partenariat.
Celle-ci est à l’origine d’une étude sur l’alerte robe rouge au sein du Comité de la condition féminine, entamée en mars dernier.
Elle a aussi fait adopter une motion au Parlement – adoptée à l’unanimité – visant à déclarer que la crise des femmes, filles et personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées est une situation d’urgence à l’échelle du Canada.
« Il est honteux de constater que seuls deux des 231 appels à la justice ont été mis en œuvre, ce qui est inacceptable », a déclaré la députée le 3 juin en mêlée de presse.
Le gouvernement de Justin Trudeau « ne parvient pas à lui accorder l’urgence qu’elle requiert », déplore-t-elle. « Les familles et les survivantes méritent justice, et ce gouvernement continue de les décevoir. »