Il est heureux que le gouvernement ait enfin décidé d’aborder l’enjeu du financement public des médicaments. Il existe des problèmes criants relatifs à cette question. Par contre, on peut douter du sérieux du gouvernement à proposer une bonne solution. Encore une fois, la notion de bien commun a cédé la place à celle de l’opportunisme politique.
Ce projet de loi vise essentiellement à maintenir ce gouvernement au pouvoir. Il ne règle en rien le fond du problème, à savoir améliorer l’accès à des soins de santé de qualité à la population canadienne.
La question de l’assurance médicaments revient régulièrement dans l’actualité. On le sait, plusieurs personnes n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments nécessaires pour se soigner.
Selon un récent sondage, plus d’une personne sur cinq n’aurait pas les moyens de payer ses médicaments. Elles doivent réduire les doses prescrites ou encore s’en priver, en tout ou en partie. La Société canadienne du cancer, qui a commandé ce sondage, estime qu’un programme national d’assurance médicament permettrait d’économiser 1488 dollars par personne malade par année, juste en prévenant les déplacements à l’hôpital.
N’est-il pas paradoxal que le régime public diagnostique des maladies, mais ne les traite pas? Un système de santé qui est véritablement public devrait donc couvrir tous les médicaments nécessaires au traitement des problèmes de santé.
Comparé aux autres pays industrialisés, le Canada fait mauvaise figure pour la couverture des produits pharmaceutiques. Selon les plus récentes données de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le Canada se situe au 32e rang des 36 pays pour lesquels les données à propos de la couverture financière des médicaments sont disponibles.
En moyenne, les régimes publics de santé des pays de l’OCDE financent 56 % des achats de médicaments. Au Canada, cette couverture n’est que de 38 %. Dans certains pays, les pourcentages de couverture dépassent les 80 % (France, Allemagne, Irlande).
Il y a donc une anomalie à corriger si on désire réellement un régime public de santé.
Cibler les électeurs plutôt que les problèmes
La solution trouvée par le gouvernement fédéral est de mettre en œuvre un régime partiel d’assurance médicaments. Il faut dire qu’un régime universel couterait très cher. Selon les récentes estimations du directeur parlementaire du budget, les dépenses engendrées par un tel programme sont estimées à 33 milliards de dollars par année.
Cependant, puisque les provinces couvrent déjà en partie l’achat de médicaments, la contribution du gouvernement fédéral s’élèverait uniquement à 11 milliards de dollars par année. C’est quand même une somme considérable.
Le gouvernement fédéral a donc décidé de ne couvrir que certains médicaments liés à certaines conditions médicales. Seuls les médicaments contraceptifs et ceux utilisés pour le traitement du diabète seront pris en charge par l’État canadien. Pourtant, il ne s’agit pas des médicaments les plus chers, les plus utilisés ou encore ciblant les risques de maladies les plus courants, les plus graves ou en forte progression.
Par exemple, selon l’Agence de la Santé publique du Canada, le diabète vient au 5e rang des maladies chroniques les plus importantes chez les personnes âgées de 65 ans et plus (le diabète affecte 26,8 % de ces personnes), après les troubles d’hypertension (65,7 %), les maladies des gencives (52,0 %), les problèmes d’arthrose (38,0 %) et à quasi-égalité avec les maladies coronariennes (27,0).
Pour un gouvernement qui avait promis de gouverner en utilisant les données probantes de la science pour prendre ses décisions, on peut dire que l’exercice est raté. Pourquoi donc se limiter aux cas de la contraception et du diabète?
L’explication la plus plausible est que le gouvernement libéral juge que cette initiative sera bien accueillie par certains groupes de la population. Notamment par les jeunes femmes pour qui les dépenses en matière de contraception représentent une dépense importante et par les personnes plus âgées qui voient leur santé décliner.
On le sait, les sondages ne sont pas en faveur des libéraux actuellement et ces deux catégories d’électeurs pourraient bien lui apporter le soutien dont il a tant besoin pour être réélu.
Un projet de loi qui divise
Mais à trop gouverner en fonction des sondages, on perd de vue l’essentiel. Dans le cas présent, la tentative de mettre en place un véritable régime d’assurance médicaments est un échec.
D’une part, nous assistons encore une fois à la mise en place d’un clientélisme de plus en plus assumé. Les programmes sont conçus pour bien faire paraitre le gouvernement et embarrasser les partis d’opposition. Les libéraux cherchent à s’attirer la sympathie des électeurs plus âgés tout en embêtant à la fois les conservateurs qui devront se prononcer sur la question de la contraception et les néodémocrates qui courtisent le vote des jeunes, tous particulièrement des jeunes femmes.
D’autre part, le gouvernement a fabriqué de toutes pièces une liste arbitraire de « bons » et de « mauvais » médicaments. Si vous utilisez des contraceptifs ou prenez des médicaments pour traiter votre diabète, alors vous « méritez » une aide gouvernementale. Mais si vous faites face à d’autres conditions, à vous de les assumer.
Encore une fois, on constate que les initiatives du gouvernement reposent davantage sur la division que sur la recherche du bien commun. Un gouvernement qui se préoccupe de la qualité et de la pertinence de ses initiatives ne crée pas différentes classes de citoyens et ne les met pas en opposition les uns aux autres.
En toute justice, il serait malhonnête d’attribuer ce comportement opportuniste qu’au gouvernement actuel. Cela fait maintenant plusieurs années qu’on observe ce phénomène. Il est vrai qu’il y a toujours eu un certain clientélisme en politique, car il faut bien récompenser les gens qui nous ont appuyés. Toutefois, ce phénomène s’est nettement amplifié ces dernières années.
Le projet de loi sur l’assurance médicaments en est l’illustration parfaite.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.