le Dimanche 6 octobre 2024
le Mercredi 28 février 2024 13:00 Francophonie

Questions et réponses avec Bebi Philip

  This Is Living Now Photography
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L’ auteur, compositeur et artiste ivoirien était récemment de passage à Iqaluit pour quelques jours afin d’y présenter un spectacle au Franco-Centre dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs. Icône du style musical du coupé-décalé, l’artiste a accepté de se livrer à une entrevue du podcast Question d’engagement et a offert une performance en direct de sa chanson qui le décrit le mieux à ses yeux, La vraie force.
Questions et réponses avec Bebi Philip
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Question d’engagement est un podcast qui permet de discuter d’engagement social avec des invités qui font carrière dans différents domaines tels que l’art, la culture, la politique.

Réalisée par et pour les jeunes, l’entrevue avec Bebi Philip a été menée par Jayme Lee Lessard, avec le soutien de Meriva Manebou, Inez Canil, Arthur Lagacé et Wensly Adrien.

Bebi Philip était récemment de passage à Iqaluit pour quelques jours afin d’y présenter un spectacle au Franco-Centre dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs.

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Question d’engagement : Tu viens de la Côte d’Ivoire. Comment est-ce que ta nationalité affecte ton travail et ta musique ?

Bebi Philip : Déjà, faut dire que chez nous, il y a différents genres musicaux. Il y a le zouglou qui est une musique née en 90 ; c’est les étudiants qui l’ont créée. Il y a aussi le coupé-décalé qui est né dans les années 2000 et aujourd’hui, on a le rap d’Ivoire qui est dérivé du coupé-décalé.

Moi, je suis un artiste coupé-décalé. Le coupé-décalé, c’est une musique urbaine, mais c’est aussi un état d’esprit. On fait beaucoup la fête ; on fait beaucoup le malin, histoire d’apporter la joie. Donc, on y retrouve aussi pas mal de musique du terroir. On essaie de faire un mélange, un brassage entre la musique du terroir et la musique urbaine, l’électro, le hip-hop. Chacun a son petit style ; moi, je fusionne la musique traditionnelle avec un peu d’électro. C’est ce qui caractérise mon coupé-décalé.

QE : Comment trouves-tu l’inspiration pour tes paroles ?

BP : Pour les paroles, ça dépend en fonction de tout ce que l’on vit au quotidien, de chaque expérience, de chaque voyage, de ce qu’on voit à la télé, l’actualité. Souvent aussi, on veut juste faire passer une mélodie où on n’a pas besoin de parole, donc du coup, on parle d’une langue qui est inspirée par les anges [rires].

QE : Quels conseils donnerais-tu aux plus jeunes qui aimeraient exceller dans l’industrie musicale ?

BP : Déjà, il faut avoir l’humilité d’apprendre, se former, d’avoir des repères et travailler. C’est vrai qu’on inspire à être une star, jouer sur les grosses scènes, les voitures et tout… Mais, la base, pour avoir la maitrise, il faut vraiment pratiquer, il faut travailler.

Moi, 10 ans en arrière, j’avais au moins deux heures d’instrument par jour. Parce qu’avant de chanter, j’étais d’abord instrumentiste. J’étais déjà musicien, donc j’ai passé pas mal de temps à travailler mon instrument et après, quand je suis venu à la chanson, le problème était la danse parce que chant et danse, ça va ensemble.

Et là encore, c’était du travail. Donc c’est vraiment le travail. Il faut avoir l’humilité d’apprendre. Et même quand tu es fort, le plus jeune peut t’apporter quelque chose.

QE : Si tu pouvais changer quelque chose dans l’industrie, une difficulté quelconque, quelle serait-elle ?  

BP : Il y a beaucoup de choses. Ce qu’on remarque ces temps-ci, c’est qu’aujourd’hui, les gens, que ce soit les maisons de disques ou les grandes structures, sont beaucoup plus concentrés sur le buzz, c’est-à-dire qu’il faut être populaire sur les réseaux sociaux pour espérer avoir des collaborations internationales ou bien des grosses productions. C’est un peu ce qui me dérange en ce moment, mais ainsi va la vie. Chaque époque a ses réalités.

Mais le plus important, c’est de pouvoir s’adapter. Les talents, il y en a beaucoup. On doit aussi faire l’effort de s’adapter à la nouvelle situation et il faut savoir utiliser les outils qui nous sont présentés à bon escient.

QE : Donc, quand tu as commencé, les médias sociaux ne jouaient pas un rôle aussi important que maintenant ?

BP : Au début par exemple, il y a des médias en Côte d’Ivoire qui donnaient l’opportunité aux jeunes musiciens de présenter ce qu’ils font via des concours de musique. Les gagnants, ceux qui restaient sur le podium, avaient une production, des collaborations avec des artistes locaux.

Depuis un certain temps, ça a diminué un peu parce qu’aujourd’hui, on va plus vite avec les réseaux sociaux. Moi, je ne veux pas fustiger ce système-là ; on fait avec, on essaie de s’adapter parce que le plus important aussi, c’est ce que tu vaux maintenant.

QE : Quel était le plus grand défi que tu as rencontré au long de ta carrière ?

BP : Il y en a eu pas mal… Déjà le fait de passer de la régie à la scène, c’était vraiment compliqué. C’était un très gros challenge pour moi. Bon, à force de travailler, on arrive à en être moins stressé, même si j’étais quelqu’un plus habitué au studio.

Au studio, tu as tout le temps de corriger les imperfections. Mais après le live aussi, c’est vraiment une autre réalité. Mais, ce qui m’a le plus marqué, c’était la première fois que je devais donner mon premier live au Palais de la Culture et je jouais devant 7000 personnes.   

QE : Ça s’est bien passé ?

BP : Oui, ça s’est bien passé, mais avant le jour du spectacle, j’avais hâte, j’avais hâte! Le jour du spectacle, je voulais que le présentateur parle une heure de temps, deux heures de temps! Mais après, quand tu commences un morceau, deux morceaux, trois morceaux, quatre morceaux, après tu te sens à l’aise et puis voilà, tu rentres dedans. Donc, ce sont les challenges des grandes scènes.

QE : J’ai lu que tu étais guitariste dans une église où ta famille était très engagée. Comment est-ce que ton lien avec la religion affecte ta musique ?

BP : Ça affecte beaucoup. Comme j’ai dit coupé-décalé, c’est un état d’esprit, boîte de nuit et tout ça. C’est pas que je ne vais pas en boîte, j’y vais très souvent pour de la promo et tout, mais ça m’aide à ne pas rentrer dans certains vices donc, du coup, j’arrive à me retenir face à certaines situations et puis tant que je peux faire passer aussi un petit message pour inculquer des valeurs aux jeunes frères qui m’écoutent, je le fais une ou deux fois au passage.

QE : Qu’est-ce qui te motive le plus à poursuivre ta carrière ?

BP : C’est le fait de beaucoup voyager, de rencontrer de nouvelles personnes, de voir de nouvelles cultures, ça me plait beaucoup parce que moi, je suis quelqu’un qui aime vraiment toucher à tout. C’est vrai que je suis à la base, un artiste qui fait de la musique d’ambiance, mais si vous écoutez mon album, vous allez voir que je voyage musicalement.

Et là, quand je suis venu à Iqaluit, j’ai pu écouter certains sons d’artistes d’ici. Je n’ai malheureusement pas pu avoir de sessions avec des locaux, mais j’ai écouté, j’ai découvert des choses intéressantes, le chant de la gorge, ce genre de trucs. Donc, c’est ce qui me plait, c’est ce qui m’encourage malgré les difficultés qu’on peut traverser, parce qu’il faut dire aussi que ce n’est pas toujours rose. C’est extrêmement difficile, mais on regarde le côté positif des choses. C’est juste le fait d’apprécier la vie.

QE : En parlant de voyage et de découvrir d’autres cultures, où d’autre as-tu performé dans le monde ?

BP : J’ai beaucoup performé sur les scènes africaines. En Europe, on a fait pas mal de salles, mais c’était plus dans le cas de la diaspora. Et là, c’est la première fois que je suis en Amérique du Nord. J’ai atterri ici à Iqaluit et j’ai pu faire du traineau et du ski-doo.

On espère jouer sur des scènes populaires ici, des festivals tout ça, parce que je l’ai fait en Afrique, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina, Cameroun, Guinée. En France, Belgique, Italie, Allemagne aussi.

QE : Qu’est-ce qui t’a amené à Iqaluit pour ta première fois en Amérique du Nord?

BP : Je suis là dans le cadre de la célébration du Mois des Noirs. Apparemment, c’est moi qui ai eu la chance d’être choisi par le comité et vraiment, je suis très content d’être là.

QE : Quels sont tes objectifs pour le futur : d’autres albums, d’autres chansons ?

BP : Mes objectifs déjà, c’est de jouer et présenter la musique que je fais sur des scènes internationales, dans les festivals et tout ; histoire de sortir un peu de notre cadre, de notre zone de confort, donc pour présenter le coupé-décalé aux Américains et partout dans le monde et puis, si possible, faire des collaborations.

QE : Es-tu engagé socialement par exemple, en Côte d’Ivoire, dans la communauté d’où tu viens ?     

BP : Je suis ambassadeur d’une école qui s’occupe des enfants trisomiques, La Page Blanche. On permet à ce que les enfants soient épanouis et puissent profiter de la vie autant que les autres le font. Chaque année, on a des événements qu’on fait à l’école et moi, dans mes spectacles, parce qu’il y en a aussi qui font de la musique, il arrive souvent qu’ils fassent une performance.

Sur le dernier album, il y a un titre qui s’intitule No Limit feat. Kerozen, un artiste de la Côte d’Ivoire, et dans le clip, il y a un enfant trisomique qui faisait la danse.

QE : Quelles sont tes plus grandes influences artistiques ?

BP : J’écoute beaucoup d’artistes africains, déjà la musique du terroir chez-moi. Il y a la légende feu Ernesto Djédjé que j’écoute, l’artiste Meiway et j’écoute aussi beaucoup de musique camerounaise dont Les Têtes Brulées qui m’inspire beaucoup et puis, la pop.

QE : Quel est le meilleur conseil que tu as reçu dans ta vie ?

BP : C’est de travailler, c’est de pratiquer, de ne pas penser à la gloire tout de suite. En fait, c’est de mettre en avant la passion et après, ça paye.

QE : Quel est ton aspect préféré de ta carrière ?

BP: On a pas mal d’opportunités, on essaie d’en profiter sans être opportuniste! Il y a ce côté-là où on rencontre un peu tout le monde et c’est juste intéressant.

QE : Pour toi, vraiment ce qui est important, c’est plus comme tu as dit auparavant, les messages que tu passes. Ce ne sont pas juste les nombres de vues ou d’écoutes ? 

BP : Non, ce n’est pas le nombre de vues. Ce n’est pas négligeable parce que la concurrence existe, mais après vraiment, il faut prendre du plaisir d’abord. Le plus important, c’est prendre du plaisir et moi, je prends aussi du plaisir à faire plaisir aux autres. 

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