Le rapport final du mandat Katujjiluta 2021-2025 marque la conclusion de la Sixième Assemblée législative et aborde les principaux enjeux de ces quatre années tels que le logement, la souveraineté dans l’Arctique, l’éducation et le soutien aux aînés. Des Nunavummiut ont accepté de partager les dossiers qu’ils jugent maintenant prioritaires pour ceux qui deviendront bientôt leurs représentants.
À quoi s’attendent les électeurs ?
Le logement représente un défi de taille pour les Nunavummiut dont Brandon Villeneuve, qui vit à Iqaluit. Il pense en fait qu’il s’agit d’une priorité absolue bien qu’il mentionne trouver encourageant de voir de plus en plus d’unités en construction. L’homme invite à analyser cette crise d’un point de vue plus large et de s’attarder sur les liens avec l’emploi, la santé mentale et l’éducation. « Il faut soutenir les jeunes dès le début, s’assurer qu’ils sont nourris, habillés et qu’ils ont des occasions de grandir. Il est nécessaire de les aider à réussir à l’école et à faire carrière dans des métiers spécialisés essentiels à la construction de ces maisons » poursuit M. Villeneuve.
Dans la jeune vingtaine, Raymonde Lonla habite actuellement à Cambridge Bay dans le cadre de ses études et s’intéresse à la politique depuis plusieurs années. Elle considère également la crise du logement comme un problème majeur. Avec l’insécurité alimentaire, elle affirme que ce sont les deux enjeux qui sont au cœur des principales difficultés du Nunavut. Elle avance d’ailleurs une corrélation entre ces problèmes et les taux de suicide inquiétants.
Préférant garder l’anonymat, une résidente du Nunavut espère que les critères de l’« Initiative pour les enfants inuit d’abord » soient révisés : « C’est triste d’entendre que non seulement des familles et leurs petits sont refusés, mais que des fonds déjà préapprouvés sont retirés pour des services touchant la parole et l’audition ». Elle émet également des craintes face à l’éventualité d’une guerre en raison de l’administration Trump et croit que le territoire doit être plus que jamais autonome. Sur une note plus positive, la femme déclare que l’Assemblée législative a pris ses responsabilités ces quatre dernières années au niveau du logement, de l’emploi et de l’éducation.
Pour Delaney Drachenberg, l’ouverture d’un centre pour les jeunes de la communauté 2SLGBTQIA+ et leurs alliés doit être priorisée : « J’aimerais aussi voir un projet de recherche dédié à en apprendre plus sur l’histoire inuit 2SLGBTQIA+ et à le cataloguer dans des livres bien conservés ». Iel applaudit la décision du gouvernement du Nunavut du 18 septembre dernier de rendre possible l’option « non-binaire » sur les certificats de naissance.
Davantage de ressources en santé mentale, le racisme envers les Noirs et le manque d’intervention des autorités, le prix élevé des services aériens et la modification des déductions pour la vie dans le Nord sont d’autres éléments prioritaires rapportés par les personnes questionnées
Les attentes des Nunavummiut sont nombreuses pour la prochaine législature.
Les francophones veulent être reconnus
En tant que Nunavummiuq d’expression française, Collins Tagnigou souhaite que le futur Premier ministre et les députés soutiennent l’importance de renforcer les services et programmes en français, afin de permettre aux familles de s’épanouir pleinement dans leur langue, que ce soit à l’école, dans le domaine de la santé ou dans la vie communautaire.
Un avis partagé par Raymonde Lonla qui s’attend à une meilleure reconnaissance de la communauté francophone :
« Il faut considérer la francophonie comme quelque chose qui contribue au développement du Nunavut. »
Elle rêve aussi d’un meilleur accès et d’une plus grande disponibilité aux services gouvernementaux en français et pas seulement à Iqaluit, mais également à Rankin Inlet et Cambridge Bay. Elle songe qu’il serait notamment profitable que le Collège arctique du Nunavut intègre le français dans son offre de cours.
Mis à part l’accord entre le gouvernement du Nunavut et celui du Canada pour soutenir les services officiels en français et pour favoriser les initiatives pour la langue inuit, Raymonde Lonla estime n’avoir observé très peu d’avancées ces dernières années pour la francophonie. « Je ne vois pas d’actions concrètes qui se font sur le territoire à partir de la Chambre du Sénat et je pense aussi que c’est parce qu’on n’a pas vraiment de représentation ». Le financement de l’accord de 34,3 millions de dollars au total prévoyait 13,9 millions de dollars pour les services francophones, ce qui, selon la jeune femme, n’est pas suffisant pour répondre à toutes les nécessités.
Collins Tagnigou abonde dans le même sens et avoue que les avancées du dernier mandat ont été limitées. « Beaucoup d’engagements sont pris, mais leur mise en œuvre demeure lente, et les besoins des familles francophones restent trop souvent relégués au second plan », se désole-t-il.
Aggu
Erasmus Ivval ; Joanna Quassa
Aivilik
Hannah Angootealuk ; Solomon Malliki
Amittuq
Roger Beaudry ; Paul Haulli ; Reena Irqittuq ; Abraham Qammaniq
Arviat Nord-Whale Cove
John Main ; Tony Uluadluak
Arviat Sud
Jamie Kablutsiak ; Alana Kuksuk
Baker Lake
Simeon Mikkungwak ; Craig Simailak
Cambridge Bay
Pamela Hakongak Gross ; Peter Ohokak ; Fred Pedersen
Gjoa Haven
David Akoak ; Agoakteak Gregory Nahaglulik ; David Porter ; Megan Porter; Sonny Porter
Baie d’Hudson
Daniel Qavvik
Iqaluit-Manirajak
Gwen Healey Akearok ; Adam Arreak Lightstone
Iqaluit-Niaqunnguu
David Akeeagok ; Tatanniq Lucie Idlout ; Jacopoosee Peter ; Walter Picco
Iqaluit-Sinaa
Robin Anawak ; Janet Pitsiulaaq Brewster
Iqaluit-Tasiluk
George Hickes ; Malaiya Lucassie
Kugluktuk
Stanley Anablak ; Bobby Anavilok ; Simon Kuliktana
Netsilik
Cecile Nelvana Lyall ; Mary Anaumiq Neeveacheak ; Johnny Qilluniq ; Emiliano Qirngnuq ; Joseph Quqqiaq
Pangnirtung
Nathaniel Julai Alikatuktuk ; Johnny Mike ; Andrew Nakashuk
Quttiktuq
Philip Kalluk ; Andrew Taqtu ; Steven Taqtu
Rankin Inlet North-Chesterfield Inlet
Alexander Sammurtok ; Cathy Q Towtongie
Rankin Inlet Sud
Gerry Anawak ; Tagak Curley ; Annie Tattuinee
Baffin Sud
David Joanasie
Tununiq
Brian Koonoo ; David Qamaniq ; Verna Strickland
Uqqummiut
Gordon Kautuk ; Mary Killiktee
Lors d’une conférence de presse organisée le 26 septembre, Joseph Murdoch-Flowers, co-directeur du centre alimentaire communautaire Qajuqturvik, a alerté sur l’explosion de la demande à laquelle il fait face à Iqaluit, et lancé un appel à l’aide à la communauté.
Accompagné de Sindu Govindapillai, pédiatre et directrice de l’organisation Qupanuaq, Joseph Murdoch-Flowers a tiré la sonnette d’alarme devant l’urgence de la situation liée à la crise alimentaire qui frappe la capitale et le Nunavut.
639 repas ont été distribués sur la seule date du 17 septembre, représentant près de 8% de la population d’Iqaluit. 58 000 repas ont été distribués en 2022, 67 000 en 2023 et 70 000 en 2024, et la barre a atteint les 62 000 à la fin de ce mois de septembre. « Et nous ne distribuons qu’un seul repas par jour » a souligné Murdoch-Flowers, avant de poursuivre : « Le besoin de manger ne s’arrête pas au dîner, il ne s’arrête pas le vendredi après-midi, il ne s’arrête pas à Noël, il ne s’arrête pas pendant les vacances : il ne s’arrête jamais »
Piita Irniq est un ancien commissaire du Nunavut et un survivant des pensionnats. Il se consacre à préserver et à promouvoir la culture ainsi que la langue inuit. Originaire du Niger, Abdoul-Karim Diakite réside à Iqaluit depuis 2011. Il est propriétaire de Nunavut Moving & Services et cofondateur de l’Association des entrepreneurs noirs du Nunavut. Les deux hommes ont été invités par Le Nunavoix à répondre aux mêmes questions au sujet de la réconciliation. Entrevue croisée.
« Réfléchir à la manière dont le colonialisme continue de façonner et modeler nos vies. »
Pour vous, quelle signification revêt la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ?
Piita Irniq : En tant que survivant d’un pensionnat, la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation signifie que nous avons été arrachés de force à nos parents sans leur permission et qu’il y a une opportunité de guérir et de se réconcilier.
Abdoul-Karim Diakite : Cette journée est à la fois une reconnaissance des douleurs du passé et une invitation à agir dans le présent. En tant que personne noire, vivant au Canada et au Nunavut, je comprends ce que cela veut dire que de vivre avec un héritage d’oppression, d’effacement et de marginalisation. Cette journée représente l’occasion de rendre hommage aux survivants des pensionnats, de reconnaître les vies volées, mais aussi de réfléchir à la manière dont le colonialisme continue de façonner et modeler nos vies. C’est un rappel que la vérité est inconfortable, mais absolument nécessaire avant de parler de réconciliation.
« Ils ont essayé de faire de nous des penseurs européens en nous enlevant notre culture et notre langue. »
Comment croyez-vous que la réconciliation ait évolué depuis que le Canada a reconnu officiellement le génocide dans les pensionnats ?
PI : Les Canadiens comprennent maintenant mieux l’impact des pensionnats. Ils savent ce qui nous est arrivé et que cela ne se reproduira plus. Ils ont admis que c’était mal; ils ont essayé de faire de nous des penseurs européens en nous enlevant notre culture et notre langue.
AD : Je pense qu’il y a une plus grande ouverture à l’écoute et à la compassion. Mais, du point de vue des communautés racisées, la réconciliation ne peut pas être que symbolique : elle doit s’accompagner de changements concrets dans les politiques, l’éducation et la justice sociale. Elle doit s’incarner dans l’équité réelle, dans l’accès aux terres, aux services, à la dignité.
Comment décririez-vous la relation actuelle entre les Inuit et les non-Inuit comparativement à il y a une vingtaine d’années ?
PI : À la lumière des excuses nationales du premier ministre aux survivants et à nos familles, et particulièrement avec la découverte de tombes non marquées, les Canadiens non autochtones souhaitent avoir de meilleures relations avec les peuples autochtones du Canada. En agissant ainsi, ils ont maintenant l’occasion de travailler plus étroitement et mieux avec nous.
AD : Avant, nous savons que le racisme, la méfiance et l’ignorance étaient encore plus marqués. Aujourd’hui, on voit heureusement davantage de dialogues, plus d’alliances et plus de visibilisation de la culture inuit, même si de profondes inégalités persistent. On remarque des améliorations, mais la discrimination structurelle est une réalité quotidienne.
« Changer un système construit pour détruire nos voix. »
Quelles actions pourraient aider à bâtir des ponts entre les peuples ?
PI : Poursuivez le dialogue de communication, assurez-vous que les gouvernements canadiens continuent de travailler en étroite collaboration avec tous les peuples autochtones pour bâtir un Canada plus grand et soyez le chef de file dans cette démarche. En tant que peuples autochtones de ce pays, nous avons beaucoup à offrir au Canada. Regardez, nous, les Inuit, avons déjà amélioré le Canada en construisant le Nunavut, le Nunatsiavut, le Nunavik et le Nunakput. Ensemble, on peut faire mieux ! Notre avenir dépend de nous tous.
AD : Pour bâtir des ponts entre les peuples, on se doit d’enseigner la véritable histoire du colonialisme, des pensionnats, mais aussi des résistances et des contributions autochtones et noires. Je ne parle pas seulement de quelques cours à gauche et à droite, mais plutôt de changer un système construit pour détruire nos voix, qui refuse de reconnaitre nos récits comme des vérités et nos savoirs comme de la science. Il faut également davantage de solidarité et créer des espaces communs pour dialoguer et s’appuyer mutuellement.
« Continuons à bâtir cet Inuuqatigiittiarniq »
Que souhaiteriez-vous dire aux nouvelles générations, Inuit et non-Inuit ?
PI : J’aimerais que la jeune génération inuit continue d’apprendre et de s’instruire sur ce qui est arrivé à leurs grands-parents. Elle doit poursuivre le travail pour préserver et valoriser la culture et la langue qui ont été enlevées à leurs ancêtres et s’assurer que ça ne se produise plus jamais ! Je crois qu’elle s’en sort bien! Les personnes non Autochtones du Canada doivent continuer à s’éduquer sur l’impact des pensionnats au Canada. Elles ont le droit, le devoir et la responsabilité d’apprendre cette histoire, car cela ne concerne pas seulement les Autochtones, mais aussi le pays. Venez parler avec nous, continuons à bâtir cet Inuuqatigiittiarniq (esprit social en inuktitut).
AD : À la jeunesse inuit, je dirais qu’elle porte une force incroyable, héritée de leurs ancêtres qui ont survécu à l’impossible. Même si le système a tenté de briser vos langues, vos traditions et vos familles, rien ne peut effacer la résilience et la beauté de votre culture. En tant que personne noire, je sais que le monde peut souvent vous faire croire que vous êtes « moins que », mais la vérité est que vous êtes porteurs d’un savoir unique dont le Canada et le monde entier ont besoin. Restez fiers, solidaires et exigez un avenir qui reflète vos rêves. À la jeune génération non-Inuit, je dirais d’écouter avant de parler, d’apprendre avant de juger. La réconciliation est une responsabilité que chacun d’entre nous porte. Engageons-nous à bâtir des relations réelles, basées sur le respect, l’égalité et la justice. Cela commence quand nous marchons à leurs côtés, et non pas devant EUX. Ensemble, Inuit, Autochtones, Noirs, Blancs et tout autre groupe, nous avons la force de transformer ce pays.
La stratégie était en préparation depuis le début de l’année dans l’objectif d’établir une réponse réalisée par et pour le territoire. Elle a été élaborée à la suite du Sommet sur la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique tenu à Iqaluit en juin 2025 et reflète les contributions des dirigeants inuit, des représentants territoriaux et fédéraux, des ainés, des jeunes et d’autres partenaires clés.
Faire entendre les voix du Nunavut
« Alors que la présence du Canada dans l’Arctique se renforce, il est essentiel que le Nunavut participe à l’élaboration des politiques qui façonneront notre avenir », a déclaré le premier ministre P.J. Akeeagok au lancement de la stratégie.
Le président de NTI, Jeremy Tunraluk, a renchéri sur ce propos en affirmant que cette stratégie souligne clairement que la souveraineté dans l’Arctique doit être orientée selon les priorités établies par les Inuit.
Ken Coates est professeur émérite à la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy de l’Université de la Saskatchewan et se spécialise dans les questions liées à la souveraineté et à la sécurité dans l’Arctique. Il est notamment le co-auteur du livre Arctic Front: Defending Canada in the Far North et préside le Conseil consultatif sur la sécurité arctique du Yukon. Il émet des réserves au sujet de ces affirmations et ne croit pas que de placer les Inuit au cœur de la stratégie se traduira concrètement dans la réalité : « Le gouvernement parle toujours de collaborer avec les autorités régionales, mais, à l’exception des Rangers canadiens, l’approche est aléatoire ».
Il estime également que le Nord n’est peut-être pas aussi central que le suggèrent les discussions actuelles.
« Le schéma historique de la défense arctique est marqué par la négligence, l’intérêt et l’attention épisodiques, ainsi qu’un sous-investissement à long terme. »
Ken Coates avance que le schéma historique de la défense arctique est marqué par la négligence.
Des communautés fortes et résilientes, une vision inuit de la souveraineté et de la sécurité, la reconnaissance du rôle primordial que joue le Nunavut dans la défense de l’Arctique, libérer le potentiel économique du Nunavut et l’adaptation au changement climatique sont les cinq piliers présentés dans le document de 44 pages.
Ken Coates note certains éléments innovants dans ce document comparativement aux versions antérieures, dont l’engagement direct des Inuit et la considération plus large des impacts possibles de la protection et de la sécurité dans le Nord. L’intégration des priorités existantes en matière de défense et de sécurité, le changement climatique, le développement communautaire et l’amélioration de l’économie du Nord ainsi que l’expansion de l’engagement territorial dans la défense et la stratégie de l’Arctique, suivant l’exemple établi par le gouvernement du Yukon sont aussi d’autres nouveautés, soulève le professeur.
La cheffe des opérations stratégiques du Bureau du premier ministre du Nunavut, Sima Sahar Zerehi révèle que le document met de l’avant l’engagement conjoint du gouvernement du Nunavut et de NTI à faire avancer quatre projets de construction nationale. Il s’agit du Corridor de sécurité arctique Gray Bay Road, le port en haute mer de Qikiqtarjuaq, le projet hydroélectrique d’Iqaluit et celui de Kivalliq Hydro-Fibre Link.
Sur sa page Facebook le jour du lancement de la stratégie, Lori Idlout, député du Nouveau Parti Démocratique (NPD) au Nunavut déclarait que les Inuit sont empêchés de participer à la sécurité arctique à cause de la grave pénurie de logements, des taux plus élevés de pauvreté et de chômage ou encore l’augmentation des déplacements médicaux en raison du manque de services de santé de base au Nunavut.
« Investir pour s’attaquer à ces obstacles indiquera très certainement que la souveraineté arctique est tout aussi importante que la sécurité de l’Arctique. Je vais surveiller quelle part du budget à venir le Premier ministre Carney donnera à l’Arctique pour nourrir les enfants inuit affamés et pas seulement pour aménager des routes au profit des compagnies minières »
L’Arctique sous pression
La stratégie souligne la nécessité de renforcer les capacités des Rangers et des gardiens environnementaux inuit comme yeux et oreilles de l’Arctique. Interrogée sur les menaces identifiées par le gouvernement territorial ainsi que les moyens utilisés pour les contrer, Sima Sahar Zerehi explique que cette évaluation est du ressort du fédéral.
Elle précise néanmoins qu’avec la fonte de la banquise et les changements climatiques, le Nunavut verra une augmentation de l’activité maritime dans ses eaux, y compris dans des zones stratégiques comme le passage du Nord-Ouest. « Cela signifie qu’il y a un besoin pressant et émergent de ports et de capacités de recherche et sauvetage pour faire face à d’éventuelles urgences telles que des déversements de pétrole. Il est aussi essentiel d’investir dans des infrastructures résilientes au climat » poursuit-elle.
De son côté, Ken Coates identifie d’autres menaces présentes dont l’affirmation russe et l’aventurisme militaire, l’engagement chinois dans l’Arctique et l’incertitude géopolitique mondiale en général.
Il s’agissait de la première fois qu’une équipe de l’Hôpital pour enfants de Stollery, composée de cardiologues pédiatriques et de personnel de soutien, se rendait au Nunavut pour effectuer une clinique de dépistage de la cardiomyopathie dilatée (CMD). Cette collaboration est née après que le Dr Michael Khoury, cardiologue pédiatrique de ce centre hospitalier, ait remarqué un schéma de cas à Kugaaruk.
Déclarant n’avoir aucune statistique sur le nombre de jeunes touchés dans la communauté, le ministère de la Santé du Nunavut informe qu’un exercice de compilation est en cours dans le cadre de cette initiative et que ces données aideront à orienter les futurs efforts de diagnostic et de recherche.
Des causes à identifier
La CMD est une affection grave mais traitable et qui se caractérise par une hypertrophie ainsi qu’un affaiblissement du cœur qui peut entraîner des symptômes d’insuffisance cardiaque, d’arythmies, de douleurs thoraciques et de fatigue. Dans les cas les plus sérieux, des interventions avancées comme un soutien cardiaque mécanique ou une transplantation peuvent être nécessaires.
Bien que des manifestations peuvent alerter sur la présence de la maladie, Pierre Essoh, spécialiste des communications au ministère de la Santé du Nunavut, souligne que la CMD peut être silencieuse à ses premiers stades, d’où l’importance d’effectuer des tests diagnostiques.
« Cela permet aussi le dépistage familial, car l’affection peut être génétique, et aide à gérer la condition de façon proactive avec des médicaments, des ajustements de mode de vie et un suivi régulier. »
Huit employés de l’hôpital d’Edmonton se sont donc déplacés dans le cadre de cette clinique où des évaluations non invasives étaient réalisées avec le consentement des parents ou tuteurs. Ces tests comprenaient la mesure de la taille et du poids, une échographie cardiaque rapide et un examen immédiat par les cardiologues.
Contacté pour obtenir davantage d’informations sur cette initiative et l’état de la situation à Kugaaruk, l’hôpital Stollery a déclaré qu’il leur avait été demandé de diriger toutes les requêtes vers le gouvernement du Nunavut.
Autre que des facteurs génétiques, Pierre Essoh souligne qu’aucune explication exacte n’a encore été trouvée concernant le nombre élevé de personnes touchées par la CMD dans la communauté.
Indiquant que la maladie affecte surtout les hommes d’âge moyen, le site Web de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC renseigne que ses causes comprennent les infections virales du muscle cardiaque et la consommation excessive d’alcool, de cocaïne ou d’antidépresseurs. Dans de rares cas, la maladie peut résulter de la grossesse ou de troubles du tissu conjonctif comme la polyarthrite rhumatoïde. « Toutefois, la plupart du temps, la cause en est inconnue », peut-on y lire.
Une prise en charge rapide
Dans l’ensemble, Pierre Essoh révèle qu’il y a eu un fort intérêt et un excellent soutien de la communauté pour cette initiative. Selon lui, malgré la présence de quelques préoccupations, une communication claire et un partenariat avec les leaders locaux ont aidé à instaurer la confiance et à encourager la participation.
Un suivi à l’hôpital pour enfants Stollery est effectué avec les jeunes qui ont été détectés souffrant d’une maladie du cœur et les membres de la famille sont invités à se faire dépister. « La prise en charge peut inclure des médicaments pour supporter le fonctionnement du cœur, contrôler l’équilibre des liquides et réguler le rythme cardiaque. Dans certains cas, des dispositifs comme des stimulateurs cardiaques ou des défibrillateurs implantables peuvent être nécessaires. Dans les cas graves, des discussions autour du soutien cardiaque mécanique ou de la transplantation cardiaque peuvent avoir lieu », indique Pierre Essoh.
Cette initiative intégrait aussi la participation des autorités locales de Kugaaruk. Rejoint par courriel pour recueillir davantage d’informations sur cette collaboration, le hameau nous a également redirigés vers le gouvernement du Nunavut pour obtenir tout commentaire.
Portant sur 910 espèces de vertébrés suivies entre 1970 et 2022, le document révèle que 52 % de celles-ci, incluant des mammifères, oiseaux, poissons, reptiles et amphibiens, connaissent une baisse d’abondance. En moyenne, la tendance observée au cours de ces années montre un déclin médian de 10 % des populations.
Selon le Fonds mondial pour la nature, section Canada (WWF Canada), le Nunavut est identifié comme l’une des régions subissant de fortes pressions du développement industriel, minier et des infrastructures en plus de composer avec les effets des changements climatiques. Le rapport ne contient toutefois aucune donnée précise portant sur les populations d’espèces sur le territoire.
Selon Emily Giles (WWF Canada), l’île de Baffin aurait connu un déclin de 98% dans les populations de caribou.
Des troupeaux de caribous en péril
« Les conclusions du Rapport Planète vivante Canada sont le signal d’alarme de la nature. Elles nous disent que les espèces et ses habitats sont menacés. Cet avertissement est aussi l’occasion pour nous d’inverser le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard. Il est impératif que nous agissions maintenant pour protéger et restaurer la nature qui soutient non seulement les espèces, mais aussi toutes les économies mondiales », affirme Megan Leslie, présidente-directrice générale du WWF-Canada.
Le RPVC 2025 est publié au moment même où les gouvernements de tout le pays privilégient la rapidité du développement en assouplissant les règlements qui protègent l’environnement et les espèces en péril.
« Dans la nature, tout est interconnecté. La dégradation d’un habitat ou la perte d’une seule espèce peut entrainer des répercussions en chaine. Une fois qu’une population est en déclin, la tendance devient difficile à renverser »
Bien que certains animaux, comme la loutre de mer ou les rapaces, montrent des signes de rétablissement, d’autres, telles que le caribou, la chauve-souris ou le harfang des neiges, continuent de reculer fortement partout au Canada. En moyenne, les populations suivies d’espèces des prairies ont décru de 62 % et celles des mammifères forestiers de 42 % au cours des cinq dernières décennies.
Questionnée en conférence de presse, Emily Giles, gestionnaire science, savoir et innovation de WWF-Canada explique qu’un déclin massif d’environ 98 % du caribou dans le troupeau de l’île de Baffin a été enregistré depuis 1991. Cette baisse est liée aux éléments industriels de la région ainsi qu’aux changements climatiques. « C’est vraiment préoccupant parce que les caribous sont des espèces très importantes pour beaucoup d’Inuit, tant dans la culture que comme source de nourriture », ajoute Mme Giles.
James Snider, vice-président, Science, savoir et innovation au WWF-Canada estime que le Canada a la responsabilité croissante d’intensifier ses efforts pour restaurer, protéger et gérer ce qu’il reste de la biodiversité.
Le 28 août dernier, les gouvernements du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest ont signé un protocole d’entente pour la gestion et la protection des caribous qui a entre autres comme objectif de partager les données et l’information relative à l’état des hardes.
Contacté pour offrir des précisions notamment en lien avec les mesures qui semblent le mieux fonctionner pour freiner cette tendance, un expert en conservation arctique de WWF-Canada n’avait pas donné suite à notre requête au moment d’écrire ces lignes.
« Les peuples autochtones ont l’autorité de décider comment les données sur leurs terres et leurs eaux sont collectées, utilisées et partagées. Cette forme de souveraineté des données est essentielle pour des pratiques de conservation équitables et efficaces », peut-on lire dans le RPVC.
Valoriser les savoirs traditionnels
Interrogée sur cet aspect lors du dévoilement du rapport, Catherine Paquette de WWF-Canada indique que l’organisation collabore à des projets locaux réalisés au Nunavut tels que l’Initiative pour la biodiversité arctique, qui vise à soutenir les leaders inuit dans la conservation, la surveillance et la protection des habitats marins et de la glace, tout en tenant compte des besoins culturels, des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire.
Six autochtones ont participé à l’étude pour y inclure différentes perspectives et partager leurs connaissances et leurs expériences, dont Abel Aqqaq de la Taloyoak Umaruliririgut Association.
« Une des solutions pour contrer le déclin de la biodiversité au Canada doit être d’entrer en partenariat avec les groupes autochtones incluant les communautés inuit pour s’assurer que non seulement nous redressons ce déclin, mais que ces groupes voient également que leurs priorités sont mises de l’avant à l’échelle nationale », conclut Catherine Paquette.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, la législation de la chasse au grizzli diffère de celle de son voisin, le Yukon. Parmi les six juridictions qui divisent les TNO, la chasse au grizzli n’est autorisée que dans le nord, dans les régions de Fort McPherson, Aklavik, Inuvik, Tuktoyaktuk et Paulatuk.
Dans les monts Mackenzie qui forment une chaine de montagnes située à la frontière entre le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, elle n’est pas autorisée aux personnes non-résidentes. Alors même que leur population est présentée comme abondante par l’Association des pourvoyeurs des monts Mackenzie (Association of Mackenzie Mountains Outfitters – AMMO), le grizzli est le seul prédateur qui ne peut pas être chassé. L’ours noir, le glouton (aussi appelé carcajou) et le loup peuvent en outre être chassés par des personnes n’habitant pas la région. L’association précise, sur son site internet, que « le glouton et l’ours noir ne sont chassés que très rarement ».
En mai 2021, une étude financée par Environnement et changement climatique Canada et l’organisme NatureServe Canada s’est concentrée sur le grizzli à l’échelle nationale. Cette étude de 70 pages indique que la situation des grizzlis aux TNO n’est pas inquiétante : « Les meilleures informations disponibles suggèrent qu’il n’y a aucune preuve de déclin et que la population est tout au moins stable, avec des augmentations locales probables dans les montagnes Mackenzie, certaines parties de la région continentale du territoire des Inuvialuit, et très certainement dans l’archipel arctique (bien que les densités restent très faibles). La seule exception de disparition locale sur le territoire semble provenir des zones du sud du Dehcho, immédiatement au nord de la frontière de l’Alberta. »
Tavis Molnar est propriétaire de la compagnie Arctic Red River Outfitters et président de AMMO. D’après lui, « les grizzlis sont absolument abondants dans les montagnes Mackenzie et il est courant pour nos clients d’apercevoir 10 à 20 grizzlis à chaque excursion ».
Gary Adams est coassocié de la compagnie de pourvoyeurs Canadian High Arctic Adventures et accompagne ses clients lors de chasse au trophée du grizzli arctique dans le nord des TNO.
La surveillance de la faune
Les compagnies de pourvoyeurs aident le gouvernement des TNO à collecter des données sur cette espèce, selon M. Molnar. En effet, chaque fois qu’un grizzli est abattu, les chasseurs doivent remettre la mâchoire inférieure ou une dent post-canine intacte à un agent de la faune.
Les pourvoyeurs ont développé un sens de l’observation et une proximité avec la faune. Leurs connaissances et observations, année après année, permettent au gouvernement territorial de surveiller les espèces chassées, estime-t-il.
« Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest dispose de très peu de fonds pour la recherche ou la surveillance de la faune sauvage. Ainsi, si vous interrogez un de leurs biologistes, ils vous diront qu’ils dépendent fortement des pourvoyeurs des montagnes Mackenzie pour ce type d’informations », précise M. Molnar.
Le ministère de l’Environnement et des Changements climatiques n’a pas fait de mise à jour récente concernant l’estimation globale de la population de grizzlis dans les Territoires du Nord-Ouest. Tania Oosting, directrice des Affaires publiques et des communications pour ce ministère, a aussi indiqué que le GTNO ne mène pas d’enquêtes régulières à l’échelle du territoire.
Cependant, des études ponctuelles dans des régions spécifiques où il existe des préoccupations en matière de gestion, telles que la construction de nouvelles routes, les quotas de chasse ou l’activité minière, sont mises en place. Mme Oosting reconnait que ces études fournissent des informations locales importantes, mais ne sont pas suffisamment étendues pour être appliquées à l’ensemble du territoire. Une étude sur la mortalité des grizzlis causée par l’homme est en cours grâce à des enquêtes auprès des chasseurs, des rapports de conflits et des retours d’étiquettes.
Cibler les mâles
Lors d’une excursion de chasse au grizzli, seuls les individus âgés ou en fin de vie sont ciblés. Les guides qui accompagnent les clients sont expérimentés et peuvent, en observant les grizzlis, déterminer si l’individu est âgé ou non, explique M. Molnar : « Les vieux ours ont une grosse tête carrée. Ils sont physiquement complètement développés, et ont une démarche plus chaloupée, plus lourde. Et puis il y a leur taille et leur apparence générale, nous sommes donc devenus très doués pour déterminer le sexe et l’âge des animaux. »
Dans la région d’Inuvik et Tuktoyaktuk, mais aussi à Paulatuk, la chasse au trophée du grizzli arctique est possible. La compagnie de pourvoyeurs, appelée Canadian High Arctic Adventures basée à Inuvik, emmène ses clients à la chasse de printemps de mi-avril jusqu’à la fin du mois de mai. Dans la région de la collectivité Paulatuk, la chasse d’automne est aussi possible du 1er septembre à mi-octobre. Pour Gary Adams, coassocié de la compagnie, les expéditions de chasse se concentrent au maximum sur les mâles.
« Nous chassons généralement six à huit ours par an dans une très grande zone. Nous cherchons toujours à chasser des ours mâles matures, mais nous avons chassé quelques vieilles femelles qui ne se reproduisaient probablement plus »
Peu de données à jour
Selon le gouvernement fédéral, la région des monts Mackenzie mérite un suivi plus assidu sur les populations de grizzlis. Même si les récoltes annuelles moyennes sont faibles dans cette zone et que la chasse par les non-résidents y est interdite, « l’estimation de la population pour cette région remonte à un certain temps, et il faudrait la revoir ».
Néanmoins, M. Molnar ne se dit pas inquiet, car les grizzlis sont nombreux et ont un taux de reproduction très élevé et un taux de survie élevé. « Nous voyons des grizzlis âgés de 30 ans ici. Lorsque vous voyez des ours aussi âgés, cela signifie qu’ils disposent d’un habitat exceptionnel. »
Pour le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), plusieurs facteurs liés aux activités humaines sont à prendre en considération. La progression rapide des altérations des habitats associée à l’exploitation des ressources, combinée à une très faible densité d’ours et à la vulnérabilité des populations, sont les principales inquiétudes. Ces dernières devraient mener à une estimation des populations et de leurs besoins en matière d’habitat.
Cet article est le deuxième d’une série de trois à paraitre prochainement.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.
Quels rôles doivent remplir nos médias locaux et nationaux dans un contexte de francophonie en situation minoritaire ?
Marie-Philippe Bouchard : Ce sont des éléments fondamentaux pour l’identité et la culture, mais également au niveau de l’information. Ils permettent à une communauté de se mobiliser, de faire ses propres choix. Les médias sont une constellation. Le service public y joue un rôle structurant, permettant d’assurer un service de base pour tous. Il y a les médias communautaires et des médias privés qui viennent compléter cette offre. C’est un territoire dans lequel on collabore, mais nous sommes aussi en concurrence pour capter le temps d’attention des gens. Dans ma conception des choses, notre plus grand concurrent est à l’extérieur de nous, avec différentes plateformes comme Youtube par exemple, qui mobilisent ce temps d’attention avec des vidéos de toutes sortes. C’est très important d’avoir une conscience de la masse critique que ça prend au sein de tous nos médias pour réussir à créer un environnement qui est sain pour nos communautés.
Nous avons des défis uniques dans le Grand Nord, notamment en matière de visibilité et d’accessibilité. Vous parliez de concurrence externe avec l’essor de nouvelles plateformes. Par exemple ici au Nunavut, la vidéo est un défi pour tout le monde en raison d’un manque de ressources humaines notamment. Quelles petites solutions pourrait-on trouver pour combler progressivement le retard sur ce qui peut se faire dans les grands centres urbains ?
Effectivement, nous avons nous-mêmes, à Radio-Canada, cette transition à faire. Nous avons des obligations dans nos médias traditionnels de publier X quantités d’informations quotidiennes. Depuis quelques années, on travaille également sur des formats plus légers, notamment des vidéos verticales. On forme également de jeunes journalistes, des plus anciens aussi, à utiliser ces méthodes de production. Pour en avoir parlé avec des chef.fes de nouvelles et nos équipes, c’est sûr que les gens deviennent extrêmement polyvalents. Couvrir un sujet en nourrissant tous les points de contacts comme un texte bref, un clip audio à utiliser en ondes, une vidéo et éventuellement un reportage : c’est très taxant et ça enlève du temps de « cueillette ». Il y a un bon équilibre à trouver, et pour les plus petits médias c’est un énorme défi. Si on peut partager les bonnes pratiques et essayer de développer de bonnes méthodes de travail, ce sera une œuvre utile.
Marie-Philippe Bouchard aux côtés du rédacteur en chef du Nunavoix, Brice Ivanovic, de la direction générale de l’AFN, Christian Ouaka, et Franck Bleu, gestionnaire de la radio CFRT 107.3. La PDG de Radio-Canada a répété son envie de soutenir les différents médias communautaires durant son mandat.
Quelles sont les ressources déployées par Radio-Canada ICI Grand Nord ?
Je n’ai pas vraiment tout le détail pour être honnête, j’ai pris mes fonctions il y a peu. Nous avons des effectifs à Whitehorse (Yukon), Yellowknife (TNO), une vidéojournaliste ici à Iqaluit pour le Nunavut, et des ressources à Kuujjuaq dans le nord du Québec. C’est la constellation du Grand Nord dont la direction est basée à Vancouver, qui coordonne toutes ces ressources. En plus du service local, il y a aussi le reflet du Grand Nord, par le billet de nos productions et l’alimentation du site ICI Grand Nord avec du contenu textuel, audio et vidéo, on reflète la réalité francophone du nord et l’actualité du nord dans le reste du pays.
Il fut un temps où il y avait formation dans le Nord. Le Collège Arctique formait des journalistes, des étudiants qui venaient de diverses communautés arctiques. Ce programme n’existe plus.
Une autre réalité du Nord, c’est la complexité pour attirer du personnel retenir cette main d’œuvre. Comment y remédier ?
Il fut un temps où il y avait formation dans le Nord. Le Collège Arctique formait des journalistes, des étudiants qui venaient de diverses communautés arctiques. Ce programme n’existe plus. On a donc tendance à recruter des journalistes formés et diplômés, qui viennent du sud. Les enjeux de logement, ici à Iqaluit par exemple, sont extrêmement complexes, et toutes les organisations sont confrontées à ce défi. C’est difficile d’attirer quelqu’un qui a une jeune famille dans un endroit où on n’est pas certain de pouvoir le loger correctement. Même tout seul ce n’est pas simple. Le défi de venir prendre la mesure de ce territoire et ses complexités est un facteur attractif, en revanche. L’aspect multitâches peut être également un argument, mais ça peut aussi en rebuter. Ceux-là : ce n’est pas pour eux. Travailler dans le Grand Nord, ça implique d’être capable de faire beaucoup de choses et apprendre à déployer toutes sortes d’outils. Ça en motive énormément et ce sont ces personnes que nous voulons recruter.
Des réflexions sont-elles à mener autour de projets conjoints entre nos structures ?
Ma philosophie générale, c’est que le grand concurrent il est dehors : aux États-Unis, sur les grandes plateformes étrangères etc. On doit essayer de solidariser dans le milieu médiatique canadien, se donner des coups de pouce, tout en maintenant une diversité des voix. Je pense que c’est très important qu’il n’y ait pas d’uniformisation du message, et que les angles journalistiques restent diversifiés. Tout ça passe par l’existence de médias communautaires, privés, indépendants et du média public. C’est une cohabitation qui doit être favorisée par le diffuseur public dans tout ce qui est possible. Tout ne peut pas l’être, mais beaucoup de choses le sont. On a un historique de collaborations avec des médias communautaires. Le bon partenariat viable et durable : c’est un enrichissement mutuel. Il doit être fait sur mesure. Chaque média a des enjeux et positionnements différents. C’est dans notre plan stratégique de pouvoir soutenir l’existence et le dynamisme des médias communautaires. Dans cet univers numérique, on peut imaginer du partage de ressources de base ou de coordination pour partir en reportage, du référencement mutuel pour augmenter le trafic vers nos contenus. Nous avons les mêmes publics, la même cible.
L’ambiance quelque peu tendue et hésitante au moment d’ouvrir l’assemblée générale du Carrefour Nunavut traduisait une certaine appréhension après les derniers événements traversés par l’organisme francophone. Des événements que l’on peut qualifier de véritable crise interne. « Personne n’est venu ici pour mettre le trouble ? » lançait Benoît Havard au moment d’ouvrir les débats devant une trentaine de membres, avant de poursuivre : « C’est stressant d’être président ».
Il faut dire que la précédente assemblée générale extraordinaire fut loin d’être un long fleuve tranquille, le 19 août dernier au Franco-Centre. Destitué par les membres avec l’ensemble du conseil d’administration, l’ex-président Nicholas Rodrigues avait contesté le fondement et l’irrégularité de son éviction, soulevant des tensions.
Une trentaine de membres ont assisté à cette assemblée générale annuelle du Carrefour Nunavut.
« Nous avons hérité d’un champ de ruines »
À l’ordre du jour figurait notamment l’adoption du procès-verbal de l’AGE tenue à la fin de l’été, mettant en lumière des « problèmes éthiques », des « conflits d’intérêt », et des « menaces » qui auraient été proférées. Le Nunavoix n’a néanmoins pas pu recueillir d’éléments de preuve.
Benoit Havard a ensuite présenté le rapport de la présidence par intérim, mettant en lumière de graves difficultés : « Notre première responsabilité était de prendre contact avec le cabinet comptable afin de relancer l’audit financier », félicitant l’équipe pour son travail rigoureux qui a permis d’aller au bout du processus légal.
Autre priorité, la justification par l’ancien conseil d’administration de la mise à l’écart du directeur général, Francis Essebou.
« L’enjeu était de comprendre cette mise à l’écart. Aucune réponse ne nous a été transmise, nous avons donc pris une résolution pour annuler cette décision. Nous réaffirmons notre confiance au directeur général et nous le remercions pour avoir eu le courage de signaler les dérives et agissements de l’ancienne gouvernance. »
Benoit Havard a ensuite salué par la même occasion le courage de Thierry Noutack, ancien secrétaire du CA « pour avoir su se retirer des manipulations avec intégrité ». En entrevue avec Le Nunavoix, Thierry Noutack a dit « avoir constaté que des membres du CA piétinaient les statuts et les règlements pour mettre en minorité le directeur général face à l’agenda qu’ils voulaient imposer. »
La gouvernance provisoire avait également demandé la remise des procès-verbaux lors de la précédente AGE.
« À ce jour, rien ne nous a été parvenu. Nous n’avons rien trouvé dans aucun matériel, aucune boîte courriel, ni dans les espaces partagés. Je vais être clair : nous avons hérité d’un champ de ruines. »
Les comptes auraient été gelés, des salaires bloqués, et des partenaires pas payés à temps. Trois employés auraient également quitté leur poste pour des raisons de « nombreuses situations de harcèlement ». « C’est tragique, c’est indécent, personne ne mérite ça » regrettait celui qui est également le fondateur de White Bear Adventures, dénonçant, malgré une saine situation financière, « des jeux d’égos et une crise étalée sur place publique ».
Pour illustrer la gravité de la situation, une représentante d’un des principaux bailleurs de fonds de l’organisme, Immigration Réfugiés Citoyenneté Canada, a assisté à cette assemblée générale en la personne de Jennifer McWilliams, alors qu’une entente pour un montant d’1,5 million de dollars a été récemment signée entre Carrefour Nunavut et le gouvernement fédéral sur 5 ans.
Avant d’ouvrir le processus de mises en candidature pour l’élection du nouveau conseil d’administration, Benoit Havard a lancé un appel solennel à Nicholas Rodrigues, qui n’était pas présent dans la salle :
« Il faut tourner la page. La francophonie économique du Nunavut doit avancer, nous sommes ici pour servir et non pour diviser. Nous ne devons pas devenir otages de querelles personnelles. »
Les membres ont pu exprimer leurs craintes et questionner la présidence par intérim : « Comment éviter que tout cela ne se reproduise ? ». Collins Tagninou a notamment répondu par la volonté de mettre en place un comité éthique, et d’introduire plus de « figures féminines dans le conseil d’administration ».
Quant au directeur général Francis Essebou, celui-ci a défendu un bilan qu’il a qualifié de « tournant majeur avec un budget en augmentation » et balayé les allégations tenues à son encontre :
« Il n’y a pas eu de mauvaise gestion, contrairement aux rumeurs. »
La nouvelle gouvernance a réitéré sa confiance en Francis Essebou, directeur général.
Nouveau conseil d’administration
Cinq postes étaient donc à pourvoir au sein du nouveau conseil d’administration. Benoit Havard a été réélu par acclamation à la présidence, pour un mandat d’un an. Christ Vladimir, gérant du Snack, devient secrétaire-trésorier pour un mandat de deux ans. Du côté des administrateurs, 5 mises en candidature ont été proposées. Louis Kamdem, Thierry Noutack et Isabelle Din Dika ont été élu.es par acclamation, après le retrait de Pierre Essoh au profit de cette dernière, allant dans le sens de la volonté de la nouvelle gouvernance pour un CA plus inclusif.
Lors de son discours, Benoît Havard s’est projeté vers l’avenir : « Nous devons reconnaître que nous sommes accueillis par un peuple : le peuple inuit. On doit penser aux générations précédentes, et aux futures. Je veux permettre à la communauté inuit de voir l’intérêt qu’elle a à travailler avec nous ».
Le nouveau conseil d’administration, de gauche à droite : Christ Vladimir, Thierry Noutack, Francis Essebou, Benoit Havard, Isabelle Din Dika, Louis Kamdem.
Le nouveau conseil d’administration a ensuite donné une liste d’orientations prioritaires, articulées autour de la diversité, la création d’un comité éthique, la révision des statuts et une ouverture plus large pour l’adhésion. « Nous devons inclure les particuliers » conseillait Cheick Cissé, membre du Carrefour. « Nous devons nous projeter et ne pas nous retourner », a rebondi Goump Djalogue, président de l’AFN. « Il faudra tout de même qu’il y ait des conséquences. On ne peut pas nous mettre devant la Cour et vouloir revenir travailler avec nous », a répondu Benoit Havard.
« Vision » : tel est le mot-clé mis de l’avant par le directeur général de l’AFN, Christian Ouaka, pour illustrer l’année écoulée, mais aussi la mission de l’organisme franco-nunavummiut.
En trois ans, les projets de l’AFN ont triplé : elle en pilote aujourd’hui 43 – et autant de demandes de financement –, en plus de neuf pôles de services (médias, formation, justice, petite enfance, etc.). L’équipe salariée a augmenté de 50 % dans la même période.
Le président, Goump Djalogue, a tenu à souligner l’engagement des bénévoles : « On a beau avoir un financement, sans bénévoles, le projet n’aboutirait pas.»
De gauche à droite : Marc-Antoine Guay (administrateur), Christian Ouaka (directeur), Goump Djalogue (président) et François Ouellette (vice-président sortant).
Un moment de « deuil »
Mais c’est la dissolution du Théâtre Uiviit et son intégration à l’AFN qui ont occupé la majeure partie des discussions; un moment qualifié à plusieurs reprises de « deuil » par des membres de l’assemblée.
« Cela fait trois ans que ça se prépare », a rappelé l’ancien coordonnateur du Théâtre et auteur de l’étude de faisabilité sur l’intégration de ce dernier au sein de l’AFN, François Fortin.
Fondé en 2014, le Théâtre faisait face à des difficultés administratives depuis plusieurs années et était sous la tutelle de l’AFN. Celle-ci assure qu’elle préservera les acquis et la mission de cette association culturelle emblématique de la communauté.
« Le Théâtre étant un organisme 100 % bénévole, c’est devenu difficile de maintenir les activités, comme c’est souvent le cas pour les organismes; mais comme il y a beaucoup d’organismes à l’échelle d’Iqaluit, il y a beaucoup de pression pour avoir des membres du CA. »
Le Théâtre devrait devenir « le bras artistique » de l’AFN, mais certaines personnes dans le public ont exprimé leur inquiétude quant à l’héritage de ce lieu culturel et la forme qu’il prendra.
Quelqu’un a proposé de changer le nom de « théâtre » si l’organisme finit par proposer d’autres activités culturelles que l’art dramatique, comme de la danse, des lettres, etc.
Le président du CA, Goump Djalogue, s’est voulu rassurant : « Les termes utilisés font partie de cette grande réflexion qu’on va faire ensemble au moment d’une consultation future pour savoir comment tout va être exécuté. »
L’AFN promet que la communauté sera consultée à ce sujet.
La 44e assemblée générale annuelle de l’AFN a rassemblé une quarantaine de personnes à Iqaluit.
Centraliser les ressources
L’organisme francophone a profité de l’AGA pour mettre de l’avant ses derniers projets, comme le lancement de la clinique d’aide juridique et d’aide à la déclaration d’impôts en français, l’entente proposée avec le Commissariat aux Langues officielles du Nunavut, ainsi que le réseau NunaFemmes.
La mise sur pied du Centre de navigation des services en français reste l’un des chantiers principaux. Il vise à centraliser et à faciliter l’accès aux services gouvernementaux, sociaux et communautaires en français. La dispersion de l’offre actuelle complique ces démarches, estime l’AFN.
Une étude pour dresser une cartographie de l’offre de services en français au Nunavut est également en cours.
L’AFN a aussi entrepris un projet d’entente avec Nunavut Tunngavik Inc. (NTI), pour instaurer un «partenariat respectueux et dynamique avec la communauté inuit», peut-on lire dans le rapport annuel, notamment pour la défense des droits linguistiques et la valorisation du patrimoine culturel.
Une projection vidéo a été réalisée pour dresser le bilan de l’année.
Une meilleure situation financière
Après une année déficitaire, les finances de l’AFN vont mieux. « Ce n’est pas trop mal, ce n’est pas idéal », a résumé le trésorier, Cheick Cissé. L’actif net pour l’exercice financier est de 2,15 millions de dollars.
Les subventions et contributions ont nettement augmenté, notamment celles du gouvernement fédéral, passant de 604 605 à 955 733 $. Des fonds qui proviennent, entre autres, du Programme d’appui aux langues officielles (PALO) et qui devraient « rester comme ça », explique Christian Ouaka. Même si « actuellement on parle de faire des économies au niveau fédéral ». « Donc on ne sait pas vraiment, mais on continue de travailler avec les bailleurs de fonds pour que le financement se maintienne », a-t-il ajouté.
L’AFN a aussi changé de cabinet comptable, pour pouvoir être pleinement servi en français, ce qui n’était pas le cas avec la firme précédente.
La suite
Du côté des élections au conseil d’administration, Marc-André Caron et Elisabeth Mbowou ont été élus comme administrateurs, succédant à Cheick Cissé et François Ouellette, vice-président sortant. David Abernethy a été réélu pour un second mandat. Goump Djalogue, Safiatou Traoré et Marc-Antoine Guay conservent leur siège.
Pour l’année 2025-2026, l’AFN travaillera à la mise en place d’États généraux de la francophonie au Nunavut.