Quelles sont les chances qu’un événement à l’horaire du Toonyk Tyme soit à l’heure? Ou qu’il ait seulement lieu? Est-ce que l’autobus public circulera un jour sur une route d’Apex fraîchement asphaltée? Vais-je pouvoir regarder mes enfants qui descendent la glissade jaune pendant que je marine dans le jacuzzi du centre aquatique? Et le pont piétonnier au-dessus de la rivière Sylvia Grinnell, sur pause depuis 20 ans ? La mécanique du nord, explication universelle aux tracas quotidiens, a le dos large. Tout est plus compliqué, long et hasardeux dans notre contrée. Il y a pourtant plusieurs beaux succès et dans la courte liste de ce qui fonctionne bien, année après année, il faut se rendre à l’évidence, le festival Alianait tient le haut du pavé !
Une quarantaine de bénévoles efficaces, serviables et souriants, une sono impeccable, des jeux de lumières variés, une foule enthousiaste, des artistes généreux vraiment contents d’être là, bref, si on exclut la météo tristounette, quand les seuls bémols recueillis concernent le prix des t-shirts et un spectacle devancé, on peut parler d’une réussite.

À l’entrée du chapiteau Tupiq, une vente de souvenirs et divers accessoires était tenue par des bénévoles.
La base : de bons artistes
Un festival musical vie et meurt avec sa programmation. Il faut un bon mélange des genres. Des artistes chevronnés, des jeunes loups qui débutent, des classiques à chanter en groupe, des nouveautés à découvrir, et à ce sens, la soirée du samedi, sous la tente de Nakasuk, avait tout pour combler les mélomanes qui ont été nombreux à répondre à l’appel.
Kathy Aputiarjuk eu l’honneur d’ouvrir la veillé avec son folk intimiste et personnel. Une voix cristalline qui porte et un jeu de guitare tout en douceur, la jeune musicienne de Kangiqsualujjuaq au Nunavik s’est fort bien acquittée de sa case horaire ingrate. En effet, à l’heure où les gens arrivent, s’installent, se retrouvent, discutent, il est parfois difficile d’imposer ses chansons. Pourtant, c’est dans un grand respect que la foule s’est jointe à l’artiste visiblement heureuse des réactions et applaudissements. La table était mise pour une belle soirée.

Kathy Aputiarjuk a ouvert le concert du samedi soir.
On branche les instruments
Le groupe rock Nivii, au look néo-gothique et à l’attitude punk, enchaîna prouvant que les genres se mélangent bien quand l’auditoire est curieux et réceptif. Cris stridents, guitare lourde et rythmique énergique, les textes adolescents ou plus introspectifs ont fait mouche et les spectateurs de tous âges ont bien retourné l’énergie vers la scène au grand plaisir de Niivi Snowball, leader du quatuor de Kuujjuaq.

Niivi Snowball a enflammé la tente Tupiq avec une énergie débordante.
L’électro s’invite
Varna, artiste multidisciplinaire originaire du Groenland, accompagnée de l’énergique Nancy Mike, habituée du festival et gloire locale, a su réconcilier le passé et le présent. Elles ont transporté le public dans un univers où l’électro côtoie les chants de gorges, où les tambours traditionnels s’échantillonnent sur des musiques aériennes, où la danse se fond dans des projections psychédéliques, bref, les performances de la soirée se suivaient en qualité comme en diversité des sons. L’apparition d’un danseur très théâtral, qui parcouru le public hilare pendant de longues minutes, a clôt le spectacle et soulevé la foule qui en redemandait.

Varna GL et Nancy Mike ont allié tradition et modernité pour une performance de haute volée.
Le clou du spectacle : un hommage aux géants
En ce jour d’ullotuneq, fête nationale groenlandaise, il était inespéré de voir fouler les planches de la grande scène Tupiq par Malik Høegh, leader original du premier groupe rock de l’île : Sumé. Dire qu’ils étaient attendu est un euphémisme. Ceux qui ont remué les fibres d’émancipation culturelle et d’engagement nationaliste des groenlandais dès 1973 avec leur premier album Sumut, un immense succès commercial local qui a traversé le temps, ont été accueilli comme il se doit en véritables rock stars.
Il s’agissait d’un hommage, certes, mais avec le chanteur original aux commandes d’un sextuor de professionnels bien rodé et en pleine forme, on peut affirmer sans crainte que cette version du groupe a rendu justice aux chansons cinquantenaires des pionniers du rock progressif de l’île.
Accompagné d’une projection d’extraits de leur film biographique Sumé: the sound of a revolution, sorti en 2014 et présenté deux jours plus tôt au cinéma Astro avec des musiciens live, ils ont su rapidement mettre la foule dans leur petite poche en attaquant leurs classiques engagés repris en chœur.
Un groupe d’une telle importance qui s’est séparé en 1977 et qui ne passe jamais au Canada, les spectateurs se sentaient privilégiés avec raison. Une soirée historique ? Plusieurs ont osé le dire! C’est pour ces moments qu’Alianait travaille fort toute l’année. Ils méritent certainement l’émulation pour leur capacité à fonctionner avec la mécanique du nord !