Issus d’une équipe internationale de l’Asie, l’Europe, de la Russie, du Groenland, des Etats-Unis et du Canada, les chercheurs de l’étude soutiennent que plus de 30 % de la région arctique est une source nette de dioxyde de carbone (CO₂)
Pour en arriver à ce constat, les données d’une centaine de sites, sources de CO₂, se trouvant principalement en Alaska (44 %), en Europe du Nord (25 %), au Canada (19 %) et en Sibérie (13 %) ont été colligées.
Alors que la région arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde, la fonte du pergélisol, l’augmentation de la sécheresse et de la fréquence des incendies compliquent la compréhension de la dynamique du carbone.
Dans les TNO, la station de recherche Scotty Creek située à 50 km au sud de Fort Simpson, se niche au cœur de la forêt boréale. Son emplacement idéal permet, depuis 1999, de recueillir des données essentielles sur l’évolution des écosystèmes nordiques. Pour cette étude, les données d’une tour à flux, permettant notamment de mesurer les émissions de ce gaz à effet de serre, ont été combinées aux mesures hydrologiques sur ce terrain.
Selon William Quinton, professeur à l’université Wilfried Laurier et directeur de la station de recherche Scotty Creek, il est fondamental de prendre en compte les changements hydriques :
« Pour comprendre l’interaction du CO₂ entre la surface du sol et l’atmosphère et comment cette interaction allait changer avec le réchauffement climatique en cours et le dégel du pergélisol qui l’accompagne, il faut comprendre pourquoi l’hydrologie change, pourquoi l’humidité du sol change. Cela permet aux personnes qui travaillent sur les flux de gaz d’interpréter leurs résultats et de savoir pourquoi ils changent au fil du temps. »
Risque d’emballement climatique
Florent Dominé est directeur de recherche au CNRS au laboratoire franco-canadien Takuvik, à l’Université Laval de Québec. Il précise que la situation n’est pas un point de bascule mais bien un processus continu, encore réversible.
« Il y a beaucoup de zones qui restent des puits, d’autres sont devenues des sources. Avec l’impact des feux, il se passe que globalement cette année, ça devient une source, mais peut-être que l’an prochain, s’il n’y a pas de feux, ça redeviendra un puits » explique-t-il.
Selon lui, lorsqu’on regarde les bilans globaux à l’échelle de tous les puits et toutes les sources de carbone, l’impact demeure très faible. « C’est juste que parmi tous les termes qui interviennent dans le bilan carbone de la planète, il y a un terme qui est devenu un peu plus positif, mais c’est plus symbolique qu’autre chose. En fait, on se dit qu’il y a une zone qui était un puits qui est devenu une source. C’est une mauvaise nouvelle de plus parmi plein de nouvelles », précise-t-il.
Il s’agit donc d’un facteur de plus parmi d’autres qui agissent sur le réchauffement climatique. Le risque d’un emballement climatique est cependant réel.
L’augmentation des températures liée au réchauffement climatique stimule la production et la croissance des végétaux qui absorbent du dioxyde de carbone, mais provoque aussi le dégel du pergélisol, relâchant deux gaz à effet de serre : le CO₂ et le méthane; gaz qui a un effet de réchauffement plus de 80 fois supérieur. Des conséquences se font aussi ressentir dans l’océan alors que la glace qui fond provoque l’affaissement des sols et l’érosion, générant des sédiments.
« Avec un apport de composés organiques; un apport de sédiments va augmenter la turbidité, le carbone. La température de l’océan augmentera aussi donc après ça peut tout modifier dans les apports de nutriments, dans le cycle biogéochimique, dans la géophysique, la dynamique de l’océan, les courants… Ça peut tout changer » révèle Florent Dominé.

Au sud de la limite nordique des arbres, d’autres lithalse près de Kuujuaq. Ces affaissement et toutes ces érosions transfèrent du carbone du pergélisol vers l’hydrosphère.
Une nouvelle grande période d’adaptation
Les zones riches en glace qui fondent causent l’érosion côtière menaçant par le fait même certaines communautés; phénomène que Florent Dominé a été à même de constater entre autres à la rivière Noatak, en Alaska et au Nunavik.
« Au niveau planétaire, c’est vraiment la catastrophe, mais je pense que pour l’Arctique, c’est quand même un milieu difficile. Il va y avoir une période d’adaptation qui va être très dure, mais les conséquences à long terme ne sont pas forcément toutes noires »
Face à ces changements à venir, une question lui vient toutefois en tête : « Comment est-ce que les populations autochtones qui ont toujours été depuis des siècles dans un climat hostile et froid, qui ont évolué là-dedans, qui se sont adaptées et qui s’y sentent bien, comment est-ce qu’elles vont pouvoir s’adapter à nouveau? »
Il croit d’ailleurs que le climat va se réchauffer bien plus rapidement que les prévisions et même bien plus vite que les prévisions les plus pessimistes.
« Tous ces affaissements et toutes ces érosions transfèrent du carbone du pergélisol vers l’hydrosphère, où les microbes les mangent et les transforment en CO₂ ou CH4, émettant des gaz à effet de serre. La plupart de ces processus ne sont pas pris en compte dans les modèles, de sorte que le réchauffement pourrait être plus rapide que projeté », affirme Florent Dominé.

Érosion de la berge de la rivière Noatak, en Alaska, causée par la fonte du pergélisol.
Selon Tommy Tremblay, géologue du Quaternaire au Bureau géoscientifique Canada-Nunavut pour Ressources naturelles Canada, qui a pris connaissance de l’étude publiée dans Nature Climate Change, le fait qu’il y ait peu de points de mesure du CO2 dans l’Arctique canadien poussera possiblement les chercheurs à s’y intéresser. « Il pourrait y avoir des stations où l’on pourrait mesurer le CO₂ et étudier un peu plus le cycle du CO₂ dans les sols et ça pourrait bénéficier les connaissances sur les cycles biogéochimiques globaux ».

Sur l’île Bylot, au nord de Baffin, le paysage laisse apparaître des polygones à coins de glace. Un paysage rendu humide par la fonte de la glace.
Intégrer le savoir traditionnel dans la recherche
Depuis 2024, la Première Nation Líídlįį Kúę (LKFN) assure la gestion de la station de recherche Scotty Creek et a réaménagé le site afin que les membres de la communauté soient intégrés aux processus de recherche. En 2022, une partie des infrastructures avaient été détruites par un incendie. Il était vital pour LKFN que la station soit reconstruite le plus rapidement possible. Grâce à des financements récoltés immédiatement après l’incendie par la Première Nation, la nouvelle station a pu être érigée. Elle reflète aujourd’hui les valeurs dénées : une aire de rencontre a par exemple été ajoutée au site.
Pour Dieter Cazon, le directeur des terres et des ressources au sein de LKFN, il est important que les connaissances traditionnelles denées soient utilisées par la science occidentale. Cette combinaison de connaissances doit permettre de « mieux comprendre les effets du changement climatique afin de nous adapter aux changements que nous observons », estime M. Cazon.
Dans le cadre de la réconciliation, l’intégration du savoir traditionnel autochtone dans les domaines de la recherche est une occasion à saisir.
« C’est fascinant qu’il y ait une opportunité pour que la science occidentale et le savoir traditionnel travaillent ensemble sur un pied d’égalité pour un objectif commun : celui de mieux comprendre les changements sur le territoire et comment nous pouvons nous adapter à ces changements » conclut-il.
Articles de l’Arctique : une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.