
Projet journalistique Nunavik 1975-2025
Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), François Bellemare nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.
Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.
La compréhension du Nunavik actuel est indissociable de l’Histoire politique du Québec moderne. En 1970, l’élection du premier ministre Robert Bourassa fait passer la société québécoise en mode de développement économique accéléré, entre autres par de mégaprojets hydroélectriques dans le Grand Nord. Dans le bassin de la baie James, Québec entreprend alors de construire les gigantesques barrages qui harnacheront les cours d’eau dont les environs sont fréquentés depuis des siècles par les peuples autochtones.
Une bombe politique : le jugement Malouf de 1973
Le gouvernement avait oublié un détail : les Lois de 1898 et 1912 sur l’Extension des frontières du Québec vers le Nord portaient une clause sur l’obligation préalable de consulter « les populations sauvages » pour tout développement. S’appuyant sur cette minuscule aspérité législative, l’Association des Inuit du Nouveau-Québec (AINQ) obtient du juge Albert Malouf en 1973 la suspension des chantiers.
Sous une pression inouïe — la Cour d’Appel ayant autorisé la reprise des travaux — d’historiques pourparlers sont lancés, les représentants autochtones n’y négociant rien de moins que les conditions de leur passage brutal à la modernité. Si les Inuit mettront onze ans à négocier des pourparlers similaires au Nunavut, dix-sept dans l’Arctique de l’Ouest et vingt-sept au Labrador, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) ne mettra que deux ans pour être signée d’une part par le Gouvernement du Québec et ses sociétés d’État, et d’autre part par les représentants Cris et Inuits – auxquels se joignent en 1978 les Naskapis. En échange de l’abandon de leurs droits ancestraux (qui n’avaient jamais été clairement définis), d’importants montants de compensation seront versés non pas à chaque individu, mais à des sociétés de développement sous contrôle collectif.
Dans le cas spécifique des Inuit, le territoire qu’ils habitent — désormais de façon sédentaire — prend le nom de Nunavik, choisi par référendum en 1986. Après bientôt cinq décennies, le bilan est mitigé : le développement local est réel dans plusieurs domaines (espérance de vie, santé, éducation, transport, entreprises) mais il génère aussi de graves problèmes sociaux : perte d’identité culturelle, maisons surpeuplées, dépendance à l’alcool et aux drogues, violence familiale, suicides; tous ces problèmes s’alimentant souvent l’un l’autre.

Couvrant 60 % du Québec, ce territoire est divisé par la CBJNQ en trois catégories.
Considérée comme « le premier traité moderne » entre Blancs et Autochtones, la Convention de 1975 a permis l’apparition des instances inuites actuelles : les 14 villages nordiques, l’Administration régionale Kativik, la Commission scolaire Kativik, la Régie régionale de la Santé ou l’Institut Avataq.
Et surtout la Société Makivvik, qui gère un pactole ayant permis la création de nombreuses entreprises publiques, dans le transport aérien (Air Inuit), la construction (Kautaq), les pêcheries (Halutik), les communications, etc.
On connait moins la face cachée de la Convention : la division du territoire du Nunavik en trois catégories foncières. La Catégorie I est administrée par les municipalités locales, et la Catégorie II protège les droits exclusifs de chasse et pêche.
Mais tout le reste (la Catégorie III, environ 90% du total) est sous contrôle gouvernemental. Ce décalage entre les gains réels via des instances modernes (dont le budget vient grandement du Sud) et la perte de contrôle territorial revient souvent dans l’actualité, depuis bientôt 50 ans que s’applique la CBJNQ.