En février 2025, le gouvernement du Canada a resserré ses procédures opérationnelles exigeant que chaque demande acheminée à l’ICFI fasse l’objet d’un examen au cas par cas et soit accompagnée de documents signés par un professionnel. Ainsi, toute requête collective à grande échelle touchant l’accès à la nourriture est désormais traitée individuellement pour chaque enfant; une décision qui, selon plusieurs, manque de cohérence avec la crise actuelle.
Dans l’Enquête menée auprès des peuples autochtones en 2022, Statistique Canada rapportait que 82 % des jeunes inuit âgés de 1 à 14 ans au Nunavut vivaient dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire.
La pression sur les familles s’accentue
Du 1er avril 2019 au 31 mars 2025, Services aux Autochtones Canada (SAC) indique que 302,83 millions de dollars ont été approuvés dans le cadre de l’ICFI pour les jeunes Nunavummiut. De ce montant, 108,65 millions de dollars ont été octroyés pour l’année 2024-2025.
Jacinthe Goulet, porte-parole pour SAC explique qu’aucun volet n’est spécifiquement dédié à l’accès à la nourriture dans le cadre de l’initiative. De 2023 à 2024, l’organisation a commencé à recevoir des requêtes collectives de financement pour appuyer des programmes en matière de sécurité ou de bons alimentaires. Au total, 24 communautés au Nunavut ont obtenu un montant de 89 505 730 $ pour venir en aide à environ 15 017 jeunes inuit entre 2023 et 2025.
Jeneca Fanjoy, gestionnaire de programmes pour Qupanuaq Services à la Fondation des enfants et des jeunes de l’Arctique se désole de la fin de la distribution de ces bons, menant selon elle, les ménages à recourir à nouveau aux soutiens alimentaires d’urgence et à naviguer dans des demandes individuelles à l’ICFI qui peuvent avoir de longs délais de traitement. Elle affirme que les parents font tout ce qu’ils peuvent, mais que le système ne correspond pas à l’ampleur des besoins :
« Les familles nous ont constamment dit que ces bons étaient l’intervention la plus efficace : ils étaient dignes, simples et garantissaient que les enfants avaient de la nourriture à la maison. »
Une situation « franchement scandaleuse »
Jessie Hale est directrice générale de l’Association des organisations à but non lucratif du Nunavut (NANPO). Questionnée sur l’incertitude du financement de l’initiative, elle ne mâche pas ses mots en décrivant la situation comme « franchement scandaleuse ». Elle affirme que les organismes sans but lucratif du territoire et d’ailleurs parlent depuis des années de l’augmentation de l’insécurité alimentaire et que le gouvernement ne les croit pas, ou ne s’en soucie pas.
« Il est vraiment difficile de les prendre au sérieux lorsque les représentants fédéraux soulignent l’importance de la sécurité et de la souveraineté dans l’Arctique et qu’ils n’adoptent même pas les mesures les plus élémentaires pour s’assurer que les personnes qui vivent réellement ici aient assez à manger »
Le 17 septembre 2025, le centre alimentaire Qajuqturvik d’Iqaluit a répondu à une demande record en servant 639 repas en un seul diner, soit près de 8 % de la population de la ville. En réponse aux questionnements soulevés, Jacinthe Goulet insiste sur diverses sources de financement qui ont été réalisées au cours des dernières années. Elle cite notamment que le budget de 2024 prévoyait 124 millions de dollars afin de garantir que Nutrition Nord Canada puisse continuer à rendre les denrées nutritives plus accessibles et plus abordables et de soutenir la stratégie de sécurité alimentaire de l’Inuit Nunangat. Elle mentionne aussi qu’en février 2025, le Canada et le Nunavut ont dévoilé un accord bilatéral sur l’alimentation scolaire qui annonçait un investissement d’environ 7,6 millions de dollars sur trois ans à compter de 2024.
639 repas ont été distribués par le centre Qajuqturvik à Iqaluit sur le seul service du 17 septembre.
Des répercussions qui se font sentir
Pour Jessie Hale, il est évident que les retards et la fragilité entourant la prolongation de l’ICFI en 2023–2024 ont eu des impacts négatifs sur la planification des projets. « De nombreux programmes qui fonctionnaient bien ont été annulés ou reportés à cause de l’incertitude et un renouvellement d’un an n’offre pas beaucoup de confiance pour les relancer. Les organismes sans but lucratif sont en mode attente », se désole-t-elle.
Tandis que l’incertitude du financement est la norme pour les organismes sans but lucratif, Jessie Hale s’inquiète pour la rétention du personnel, alors que les employés réclament une stabilité. « Nous allons perdre des travailleurs talentueux, ce qui signifie moins de gens pour gérer les programmes dont les membres de la communauté dépendent », soulève-t-elle.
Jeneca Fanjoy veut maintenant que soit rétabli en priorité le système de bons alimentaires et que soient réduits les obstacles dans les requêtes individuelles à l’ICFI. Elle réclame aussi que le gouvernement et les organisations régionales s’attaquent aux causes profondes de l’insécurité alimentaire.
SAC affirme s’engager à continuer d’œuvrer avec ses partenaires inuit afin d’élaborer conjointement une approche à long terme qui renforce la durabilité, répond à la demande croissante et comble les besoins non satisfaits des enfants. « Nous reconnaissons les préoccupations soulevées par les dirigeants inuit, ainsi que par les dirigeants provinciaux, territoriaux et communautaires », exprime Jacinthe Goulet. Elle informe que les décisions concernant le maintien ou l’augmentation du financement de l’ICFI seront communiquées à une date ultérieure.