le Mardi 4 novembre 2025
le Mardi 4 novembre 2025 16:27 Sciences et environnement

L’Amundsen en eaux inconnues

L’Amundsen s’est rendu pour une première fois aux îles de la Reine-Élisabeth.  — Crédit : Audrey Limoges
L’Amundsen s’est rendu pour une première fois aux îles de la Reine-Élisabeth.
Crédit : Audrey Limoges

Le Leg 4 du navire de recherche scientifique Amundsen, dont le départ et l’arrivée se faisaient à Resolute, s’est déroulé du 4 septembre au 2 octobre 2025. Saisissant une courte période propice à la navigation, le brise-glace s’est rendu autour des îles de la Reine-Élisabeth, l’un des coins les plus reculés de l’archipel arctique canadien, ainsi que dans la région de l’aire marine protégée Tuvaijuittuq.

L’Amundsen en eaux inconnues
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Des scientifiques, des étudiants et des chercheurs de partout au Canada étaient réunis durant cette mission afin de mieux comprendre les voies d’eau douce, les interactions glace-océan et l’évolution de l’état des glaces autour des îles de la Reine-Élisabeth. Au cours du mois, ce sont plus de 210 opérations de recherche qui ont été menées ainsi que l’échantillonnage de six stations de glace de mer et trois fjords de l’aire marine protégée de Tuvaijuittuq.

L’un des derniers refuges d’un monde en transformation

Bien qu’Amundsen Science organise des expéditions annuelles depuis plus de 20 ans, le navire se rendait pour la toute première fois aux îles de la Reine-Élisabeth.

David Babb et Lisa Matthes, chefs de mission du Leg 4, ont commencé à planifier ce périple un an et demi à l’avance avec un plus petit groupe de chercheurs de l’Université du Manitoba et de Pêches et Océans Canada. Puis, grâce à un financement du gouvernement fédéral et du programme canadien de la Chaire de recherche pour un segment complet à bord de l’Amundsen, d’autres scientifiques collaborateurs en provenance d’autres universités canadiennes et institutions internationales intéressés par la région ont été invités.

« Ensemble, nous avons organisé plusieurs rencontres en ligne et échangé des milliers de courriels avant l’expédition pour discuter des objectifs de recherche et des collaborations, des sites d’échantillonnage, des participants, incluant de nombreux étudiants, ainsi que de l’équipement scientifique nécessaire », déclarent les deux responsables.

Dre Audrey Limoges, professeure associée au département des sciences de la terre à l’Université du Nouveau-Brunswick en était à sa quatrième mission sur le brise-glace. Elle y portait le chapeau de chercheure responsable de l’échantillonnage de sédiments. « Toute la zone de l’itinéraire du Leg 4 avait très peu de données parce qu’historiquement, c’était vraiment très difficile de s’y rendre à cause des conditions de glace ».

Elle précise d’ailleurs que les changements climatiques ont un rôle à jouer dans les trajectoires et que cette expédition n’aurait pas été possible il y a quelques années.

« Même si l’Amundsen est un brise-glace, on cherche des corridors de navigation qui nous permettent de ne pas avoir à en briser. Cette fenêtre d’opération devient de plus en plus grande », poursuit-elle.

Audrey Limoges et ses collègues quelques minutes avant d’aller récolter un échantillonnage de sédiments à bord d’un zodiac. 

Crédit : Julie Marcoux

La professeure estime que, pour Pêches et Océans Canada, la cueillette de données dans la zone de 319 000 km2 de Tuvaijuittuq, qui signifie en inuktitut « l’endroit où la glace ne fond jamais » et qui abrite la glace de mer la plus ancienne et épaisse de l’Arctique apporte beaucoup de valeur.

« L’une des raisons pour laquelle on va étudier cette zone-là, c’est que c’est considéré comme l’un des derniers refuges de glace multianuuelle. C’est un site qui est important non seulement d’un point de vue local et régional, mais c’est aussi que tout ce qui se passe là-bas a un impact à très grande échelle sur le climat planétaire ».

Avec deux autres collègues, Audrey Limoges a amassé des enregistrements sédimentaires, la boue qui s’accumule dans le fond de la colonne d’eau sur le rocher océanique. « L’avantage avec le sédiment c’est que plus on va profondément, plus loin dans le temps on peut retourner. On peut récolter des carottes qui nous permettent de comprendre comment l’écosystème a évolué sur une échelle millénaire ».

Chaque soir, les personnes à bord assistent à une réunion durant laquelle les objectifs du jour sont revus et ceux du lendemain, modifiés au besoin. Il s’agit pour la professeure d’un travail très collaboratif.

En guise de conclusion à cette expédition, une trentaine de résidents de Resolute Bay se sont rassemblés lors d’une journée scientifique durant laquelle l’équipe a pu partager leurs observations et proposer des activités éducatives aux enfants présents.  

Au-delà des résultats scientifiques, c’est la beauté des paysages qui marque Audrey Limoges lors de chacune de ses missions dans l’Arctique. 

Crédit : Audrey Limoges

Les premiers constats

Données en main, les chercheurs vont à présent se rendre en laboratoire pour sous-échantillonner à chaque centimètre des carottes qui font parfois plusieurs mètres de long. Les indicateurs seront analysés pour essayer de saisir, par exemple, l’impact du retrait de la calotte glacière, mais également des changements dans la glace de mer sur la productivité biologique. L’un des objectifs est de tenter de reconstruire quand et comment la glace a évolué dans le temps. « Cette information est ensuite utilisée pour faire des prédictions pour mieux comprendre des aspects qui sont liés aussi à la conservation des habitats », dénote la scientifique.  

Bien que les observations soient initiales, la chercheure avait tout de même quelques données à révéler :

« Dans certaines carottes, on a atteint des sédiments qui, on le croit, vont nous permettre de dater la période de déglaciation de la région, donc quand les grandes calottes glaciaires se sont retirées. D’un point de vue de l’histoire environnemental, c’est quand même tout un tournant pour l’écosystème. »

— Audrey Limoges

La récolte de sédiments au front des glaciers contribuera aussi à dater en temps réel et calibrer avec les données satellitaires l’extraction de certains glaciers dans la zone.