le Mercredi 23 juillet 2025
le Mardi 22 juillet 2025 15:54 Francophonie

Simon Houle : « Je voulais vivre le Nord »

Pigiste pour Le Nunavoix durant de nombreuses années, Simon Houle a notamment remporté un Prix d’Excellence de la presse francophone en situation minoritaire en 2021.  — Crédit : Brice Ivanovic
Pigiste pour Le Nunavoix durant de nombreuses années, Simon Houle a notamment remporté un Prix d’Excellence de la presse francophone en situation minoritaire en 2021.
Crédit : Brice Ivanovic
Visage incontournable de la communauté francophone, Simon Houle s’envole vers de nouveaux horizons après quatorze années de bons et loyaux services. Débarqué à Iqaluit en 2011 pour enseigner à l’école des Trois-Soleils, le natif de Québec a marqué la vie de la communauté par ses engagements, du théâtre à la radio, sans oublier sa plume au service du Nunavoix. Entretien.
Simon Houle : « Je voulais vivre le Nord »
00:00 00:00

Le Nunavoix ! Pourquoi avoir choisi de venir s’installer à Iqaluit, en 2011 ?

Simon Houle : J’avais postulé trois fois au Nunavut avant que ce soit la bonne. Je savais qu’il y avait une école francophone et je voulais vivre le Nord. Mon amour pour l’Arctique remonte à mon secondaire, lorsque je m’intéressais aux explorateurs. En 2011, après la naissance de mon fils, la Commission Scolaire Francophone du Nunavut (CSFN) m’a rappelé pour un poste d’enseignant. J’ai passé mon entrevue depuis l’hôpital où venait de naître mon fils. Je remonte dans la chambre et ils me disent que je suis engagé. C’était un dimanche. Le lundi, j’annonçais le genre de mon enfant à mon patron, puis ma démission. Je n’ai jamais regretté mon choix.

Quelle a été votre première impression à l’arrivée ?

Quand j’ai vu la toundra, c’était trop singulier, trop unique. Une dame m’a accueilli à l’arrivée, puis m’a fait faire un tour de la ville. J’ai de suite cherché les francophones, comme partout où j’allais ! Cécile Guérin était responsable du Franco-Centre, qui était vraiment différent avant. Comme une cabane à sucre qui ne payait pas de mine. J’ai pris quelques films, puis j’ai rencontré Martin Roy qui avait aussi travaillé pour la CSFN. Il m’a amené à la pêche à Sylvia Grinnell dès le premier jour. Depuis, je n’ai plus jamais pêché et je ne suis plus monté dans une boîte de pick-up.

« Cette école n’est pas plus difficile que les autres, juste différente : il n’y a pas de pression de la performance. »

À quoi ressemble la vie d’un enseignant à Iqaluit ?

C’est un métier très prenant. J’arrivais dans un milieu difficile, les gens parlent peu français. Je me disais que si les élèves n’atteignaient pas les résultats escomptés, il ne fallait pas le prendre personnellement. Mes classes étaient multi-niveaux. Cette école n’est pas plus difficile que les autres, juste différente : il n’y a pas de pression de la performance. J’y ai développé un concept de « mécanique du nord » : on ne fonctionne pas de la même vitesse, pas de la même façon.

Dites-nous en plus sur ce concept de « mécanique du nord » ?

C’est de prendre les choses comme elles viennent, faire un pas de recul et analyser. Les gens ne s’inquiètent pas du temps que prennent les choses ici. Ma première paye par exemple, je l’ai eue en novembre 2011. La personne qui s’occupait des paiements était rarement joignable, basée à Arviat. Des gens étaient payés, mais c’était compliqué. Je me suis dit : ok ça fonctionne, mais je ne peux pas tout changer. Pas nécessairement l’accepter, mais faire avec. Je n’avais pas envie de fâcher la personne en la harcelant au téléphone. À cause des roulements dans le personnel, il y a souvent des choses de dernière minute qui viennent s’intercaler. Un chanteur passe dans le coin : « Tiens on le ramène à l’école ! ». Tu ne pourrais faire ça nulle part ailleurs.

Iqaluit est une ville en pleine évolution, et qui a donc beaucoup changé. Quel est votre regard sur cette évolution ?

La communauté francophone a beaucoup changé. On est passé de franco-canadiens à une communauté plus internationale. Avant, il y avait très peu de gens venus d’ailleurs. Il y avait plus d’Inuit à l’école, de Québécois, de familles exogames… Les activités ont aussi changé. Au Franco-Centre, tout dépendait des goûts de la personne pour les activités culturelles : cirque, culture africaine etc. Avant la communauté francophone venait au moindre événement sans se poser de question. Maintenant c’est différent, tout s’est professionnalisé.

« La francophonie est fragile : tu es à un super bénévole que tout tombe. »

Comment se porte la francophonie dans la capitale du Nunavut, selon vous ?

Les gens ne viennent pas ici parce qu’il y a une communauté francophone. Ils la découvrent. Beaucoup de gens mettaient leurs enfants à l’école anglophone pour leur faire apprendre l’anglais. Au début ça me fâchait un peu. Puis j’ai compris et j’ai vraiment arrêté de juger les gens. C’est une francophonie qui est éclatée, pas très forte. On a un drapeau franco-nunavummiut : est-ce que vous l’avez déjà vu quelque part ? J’ai fait de la radio ici aussi, mais les francophones ne l’écoutaient pas. Une fois en plein direct j’ai dit : « Le premier qui appelle sur ce numéro, je lui donne 20 dollars ». Et bien personne n’a appelé. Le théâtre par contre, ça marchait fort ! Il y avait quatre représentations par an, la salle était pleine. Malheureusement, le bénévole en charge est parti avec sa femme. La francophonie est fragile : tu es à un super bénévole que tout tombe.

Comment s’intégrer dans un territoire inuit dans un contexte de réconciliation ?

J’avais déjà travaillé auprès d’une communauté innue. À Iqaluit, je savais que je n’allais pas vivre la grande immersion. Il y a plus d’activités inuit à Ottawa qu’à ici. Les Inuit ont peur, en quelque sorte, de l’envahisseur, et se referment sur eux-mêmes de peur d’être assimilés, afin de protéger leur culture. Leurs besoins ne sont pas comblés, ni à l’école ni ailleurs. Les francophones ne vivent pas les mêmes défis ici, de par les salaires, le logement… Les Inuit le voient tout ça. Pour moi, le Nunavut est un pays, pas seulement un territoire. J’ai une grande honte quand je vois mon voisin : je n’ai pas appris l’inuktitut en quatorze ans. Je n’ai pas fait ce qu’il fallait pour m’intégrer, c’est mon regret au moment du départ. Il n’y a pas beaucoup de francophones qui font cet effort d’intégration, seulement quelques-uns parlent ou comprennent la langue.

Vous avec raconté la vie de la communauté durant de nombreuses années dans Le Nunavoix, et même remporté un prix d’Excellence de la presse francophone en milieu minoritaire. Racontez-nous un peu cette aventure ?

Mon rêve, c’était d’écrire un chef d’œuvre. Bon, ce n’était pas brillant. Mais un journal c’est une forme de publication ! C’était un objectif personnel, ma mère était historienne, il y avait des livres partout à la maison. C’est un univers qui me plait, et j’ai reçu quelques compliments. Bizarrement, on ne m’a jamais dit « Tu es bon en sport ». Alors j’ai continué là-dedans. Beaucoup de gens pourraient en faire de même ! Quand il n’y a personne, il y a des places à prendre. C’est un privilège en quelque sorte !

« Quand on ne vient pas pour les bonnes raisons, ça peut être délicat. »

Quels sont les défis que vous avez rencontrés durant votre vie ici ?

Les défis, c’est pour les gens qui ne sont pas prêts et qui n’ont pas fait de recherches avant d’arriver. Quand on ne vient pas pour les bonnes raisons, ça peut être délicat. L’isolement peut être difficile. On ne va pas se le cacher néanmoins, nous sommes privilégiés. J’aime partir me ressourcer ailleurs de temps en temps, ce qui n’est pas possible pour d’autres, n’ayant jamais pu prendre l’avion pour sortir de l’endroit où ils sont nés.