le Mercredi 22 octobre 2025
le Mardi 21 octobre 2025 14:11 | mis à jour le 21 octobre 2025 14:25 Chroniques

Prescrire la nature : quand la toundra devient thérapeutique

Profitez des bienfaits de la toundra, aussi bien en hiver qu’en été ! — Archives - Brice Ivanovic
Profitez des bienfaits de la toundra, aussi bien en hiver qu’en été !
Archives - Brice Ivanovic

Les ordonnances de temps en nature ont vu le jour aux États-Unis il y a plus d'une décennie, et depuis, elles ont pris racine dans plusieurs provinces canadiennes. Ma famille et moi avons choisi de nous installer à Iqaluit. Cette immersion dans le Nord m’amène à réfléchir autrement le lien entre nature et santé. Bien que nous soyons loin de nos forêts boréales ou de nos parcs urbains verdoyants, la nature soigne.

Prescrire la nature : quand la toundra devient thérapeutique
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Quand la nature devient soin

L’idée derrière les ordonnances de temps en nature est simple, mais puissante : intégrer la nature comme un outil de prévention et d’intervention dans le domaine de la santé. Bien avant que la science ne confirme ses bienfaits, les peuples autochtones, dont les Inuit, entretenaient déjà une relation intime et sacrée avec la nature. Elle est source de nourriture, d’enseignement, de spiritualité et de guérison.

Aujourd’hui, les chercheurs confirment ce que plusieurs savent intuitivement. À l’échelle populationnelle, les milieux de vie favorisant le contact avec la nature sont associés à une baisse de la mortalité une diminution de l’isolement social et même une réduction de la criminalité (INSPQ, 2017). En termes de perception, vivre près d’un espace naturel peut procurer un sentiment de bien-être équivalent à un gain de revenu de 10 000 $… ou à se sentir 7 ans plus jeune ! (Kardan et al., 2015)

À l’échelle individuelle, les effets sont impressionnants. Après seulement 15 à 20 minutes en nature, on observe une baisse de la tension artérielle, une diminution du cortisol, hormone du stress, une amélioration du système immunitaire et même une meilleure gestion de la glycémie. Pour ceux vivant avec des douleurs chroniques, la nature agit comme un complément aux stratégies de gestion.

Sur le plan psychologique, les bienfaits sont profonds : réduction de l’anxiété, diminution des symptômes dépressifs, meilleure concentration. Pour les enfants, une augmentation de la concentration à l’école a été démontrée. Du côté de nos aînés, la nature aide à prévenir les troubles cognitifs, brise l’isolement et augmente la perception du bien-être.

Anxiété, diminution des symptômes dépressifs, concentration … :  notre environnement naturel a de profonds bienfaits surnotre santé mentale.

Crédit : Brice Ivanovic

La toundra : un terrain thérapeutique unique

Au Nunavut, la toundra s’étend à perte de vue et même les quartiers résidentiels permettent un accès rapide à des sentiers, rivières et formations rocheuses millénaires.

Les vastes paysages, la lumière unique du Nord, le contact saisissant du vent sur nos joues – tout cela crée un cadre idéal pour une reconnexion à soi et à la terre. Ce qui pourrait sembler aride ou inaccessible est en réalité une richesse immense. Il n’y a qu’à marcher quelques minutes à l’extérieur du centre-ville d’Iqaluit pour s’immerger complètement dans la nature.

Des niveaux d’exposition à la nature variables

La chercheure Virginie Gargano (2022), spécialiste de l’intervention par la nature, a identifié plusieurs niveaux de contact avec l’environnement naturel. Même une exposition indirecte, comme regarder une photo de paysage ou une vidéo de nature, peut produire des effets bénéfiques. Ensuite viennent les contacts quasi-passifs, comme le jardinage ou la présence de plantes. Le simple fait d’être dans un espace vert sans but de performance, de marcher ou de s’arrêter pour observer, constitue une forme d’immersion légère. Enfin, des séjours prolongés en nature avec activité physique et nuitées permettent une immersion complète.

Chaque niveau apporte son lot de bienfaits. L’important, c’est la régularité. Une prescription typique ? 20 à 30 minutes, 3 fois par semaine. Une marche en toundra, un pique-nique au bord de la rivière Sylvia Grinnell, ou simplement s’asseoir en silence pour observer le paysage. Tout compte.

Chaque niveau d’exposition à la nature a son lot de vertus et de surprises. De jour… comme de nuit !

Crédit : Brice Ivanovic

Pourquoi la prescrire formellement ?

L’acte de prescrire, même de manière symbolique, a un impact. L’écrire sur papier renforce l’engagement, tant du professionnel que de la personne qui reçoit la prescription.

Son objectif : faire de la nature une alliée accessible à tous, et non un luxe réservé à ceux qui peuvent se permettre des escapades à l’extérieur des villes. Cela nécessite aussi un engagement politique pour protéger et valoriser les espaces naturels de proximité.

Un modèle ancien et remis au goût du jour

L’idée de la nature comme soin n’est pas nouvelle. Les sanatoriums pour les tuberculeux au 19e siècle, Central Park à New York conçu pour améliorer la santé des citoyens, ou encore le Shinrin-Yoku ou bain de forêt pratiqué depuis les années 1980 au Japon sont autant de preuves historiques.

Plus récemment, des programmes comme PaRx (Canada), Nature Prescriptions (Écosse) ou encore l’initiative québécoise Prescri-Nature s’inspirent de cette sagesse ancienne tout en la soutenant par des données scientifiques solides.

Pourquoi prescrire formellement la nature ? Faire de la nature une alliée accessible à tous.

Crédit : Brice Ivanovic

Et ici, à Iqaluit ?

Il serait facile de croire que ce genre d’initiative ne concerne que les villes du sud. Mais ici, à Iqaluit, tout est en place pour intégrer la nature au quotidien : les milieux éducatifs peuvent organiser des sorties en toundra, les travailleurs de la santé peuvent orienter leurs patients vers des promenades en plein air et les citoyens peuvent simplement redécouvrir leur territoire.

Et si l’on commençait par-là ? Sortir dehors, regarder autour, respirer. Et laisser la nature faire son œuvre.

Sources et références scientifiques :

Gargano, V. (2022). Les pratiques centrées sur la nature et l’aventure et le travail social: Perspectives disciplinaires et théoriques Intervention, 155, 151-165. https://doi.org/10.7202/1089312ar 

Kardan, O., Gozdyra, P., Misic, B. et al. (2015).  Neighborhood greenspace and health in a large urban center. Sci Rep 5, 11610 https://doi.org/10.1038/srep11610

www.prescri-nature.ca

« Ceux qui ne consacrent jamais de temps à leur santé devront en consacrer à leurs maladies. » – Dr Gabriel Fortin, omnipraticien