le Mercredi 8 octobre 2025
le Mercredi 8 octobre 2025 12:03 Local

Entre passé et avenir : réflexions sur la réconciliation

Piita Irniq estime que la jeune génération inuit fait du bon travail pour préserver et valoriser leur culture.  — Courtoisie
Piita Irniq estime que la jeune génération inuit fait du bon travail pour préserver et valoriser leur culture.
Courtoisie

Le 30 septembre 2025 marquait la cinquième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, un moment pour reconnaître les séquelles tragiques des pensionnats, les enfants disparus, les familles laissées derrière et les survivants de ces établissements.

Entre passé et avenir : réflexions sur la réconciliation
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Piita Irniq est un ancien commissaire du Nunavut et un survivant des pensionnats. Il se consacre à préserver et à promouvoir la culture ainsi que la langue inuit. Originaire du Niger, Abdoul-Karim Diakite réside à Iqaluit depuis 2011. Il est propriétaire de Nunavut Moving & Services et cofondateur de l’Association des entrepreneurs noirs du Nunavut. Les deux hommes ont été invités par Le Nunavoix à répondre aux mêmes questions au sujet de la réconciliation. Entrevue croisée.

« Réfléchir à la manière dont le colonialisme continue de façonner et modeler nos vies. »

Pour vous, quelle signification revêt la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ?

Piita Irniq : En tant que survivant d’un pensionnat, la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation signifie que nous avons été arrachés de force à nos parents sans leur permission et qu’il y a une opportunité de guérir et de se réconcilier.

Abdoul-Karim Diakite : Cette journée est à la fois une reconnaissance des douleurs du passé et une invitation à agir dans le présent. En tant que personne noire, vivant au Canada et au Nunavut, je comprends ce que cela veut dire que de vivre avec un héritage d’oppression, d’effacement et de marginalisation. Cette journée représente l’occasion de rendre hommage aux survivants des pensionnats, de reconnaître les vies volées, mais aussi de réfléchir à la manière dont le colonialisme continue de façonner et modeler nos vies. C’est un rappel que la vérité est inconfortable, mais absolument nécessaire avant de parler de réconciliation.

« Ils ont essayé de faire de nous des penseurs européens en nous enlevant notre culture et notre langue. »

Comment croyez-vous que la réconciliation ait évolué depuis que le Canada a reconnu officiellement le génocide dans les pensionnats ?

PI : Les Canadiens comprennent maintenant mieux l’impact des pensionnats. Ils savent ce qui nous est arrivé et que cela ne se reproduira plus. Ils ont admis que c’était mal; ils ont essayé de faire de nous des penseurs européens en nous enlevant notre culture et notre langue.

AD : Je pense qu’il y a une plus grande ouverture à l’écoute et à la compassion. Mais, du point de vue des communautés racisées, la réconciliation ne peut pas être que symbolique : elle doit s’accompagner de changements concrets dans les politiques, l’éducation et la justice sociale. Elle doit s’incarner dans l’équité réelle, dans l’accès aux terres, aux services, à la dignité.

Comment décririez-vous la relation actuelle entre les Inuit et les non-Inuit comparativement à il y a une vingtaine d’années ?

PI : À la lumière des excuses nationales du premier ministre aux survivants et à nos familles, et particulièrement avec la découverte de tombes non marquées, les Canadiens non autochtones souhaitent avoir de meilleures relations avec les peuples autochtones du Canada. En agissant ainsi, ils ont maintenant l’occasion de travailler plus étroitement et mieux avec nous.

AD : Avant, nous savons que le racisme, la méfiance et l’ignorance étaient encore plus marqués. Aujourd’hui, on voit heureusement davantage de dialogues, plus d’alliances et plus de visibilisation de la culture inuit, même si de profondes inégalités persistent. On remarque des améliorations, mais la discrimination structurelle est une réalité quotidienne.

« Changer un système construit pour détruire nos voix. »

Quelles actions pourraient aider à bâtir des ponts entre les peuples ?

PI : Poursuivez le dialogue de communication, assurez-vous que les gouvernements canadiens continuent de travailler en étroite collaboration avec tous les peuples autochtones pour bâtir un Canada plus grand et soyez le chef de file dans cette démarche. En tant que peuples autochtones de ce pays, nous avons beaucoup à offrir au Canada. Regardez, nous, les Inuit, avons déjà amélioré le Canada en construisant le Nunavut, le Nunatsiavut, le Nunavik et le Nunakput. Ensemble, on peut faire mieux ! Notre avenir dépend de nous tous.

AD : Pour bâtir des ponts entre les peuples, on se doit d’enseigner la véritable histoire du colonialisme, des pensionnats, mais aussi des résistances et des contributions autochtones et noires. Je ne parle pas seulement de quelques cours à gauche et à droite, mais plutôt de changer un système construit pour détruire nos voix, qui refuse de reconnaitre nos récits comme des vérités et nos savoirs comme de la science. Il faut également davantage de solidarité et créer des espaces communs pour dialoguer et s’appuyer mutuellement.

« Continuons à bâtir cet Inuuqatigiittiarniq »

Que souhaiteriez-vous dire aux nouvelles générations, Inuit et non-Inuit ?

PI : J’aimerais que la jeune génération inuit continue d’apprendre et de s’instruire sur ce qui est arrivé à leurs grands-parents. Elle doit poursuivre le travail pour préserver et valoriser la culture et la langue qui ont été enlevées à leurs ancêtres et s’assurer que ça ne se produise plus jamais !  Je crois qu’elle s’en sort bien! Les personnes non Autochtones du Canada doivent continuer à s’éduquer sur l’impact des pensionnats au Canada. Elles ont le droit, le devoir et la responsabilité d’apprendre cette histoire, car cela ne concerne pas seulement les Autochtones, mais aussi le pays. Venez parler avec nous, continuons à bâtir cet Inuuqatigiittiarniq (esprit social en inuktitut).

AD : À la jeunesse inuit, je dirais qu’elle porte une force incroyable, héritée de leurs ancêtres qui ont survécu à l’impossible. Même si le système a tenté de briser vos langues, vos traditions et vos familles, rien ne peut effacer la résilience et la beauté de votre culture. En tant que personne noire, je sais que le monde peut souvent vous faire croire que vous êtes « moins que », mais la vérité est que vous êtes porteurs d’un savoir unique dont le Canada et le monde entier ont besoin. Restez fiers, solidaires et exigez un avenir qui reflète vos rêves. À la jeune génération non-Inuit, je dirais d’écouter avant de parler, d’apprendre avant de juger. La réconciliation est une responsabilité que chacun d’entre nous porte. Engageons-nous à bâtir des relations réelles, basées sur le respect, l’égalité et la justice. Cela commence quand nous marchons à leurs côtés, et non pas devant EUX. Ensemble, Inuit, Autochtones, Noirs, Blancs et tout autre groupe, nous avons la force de transformer ce pays.