Nicole Stafiej, étudiante à la maîtrise en recherche communautaire sur la gestion de la faune et la souveraineté alimentaire à l’Université McGill, travaille depuis un an avec la Société Aqqiumavvik dans le cadre d’un projet de recherche sur la revitalisation de la relation entre les Arviamiut et les oies, le renforcement de la sécurité alimentaire grâce à la chasse.
Sa thèse porte sur la façon dont le codéveloppement d’un livre de cuisine communautaire sur l’oie peut servir d’outil méthodologique pour la coproduction de connaissances et l’opérationnalisation de la méthodologie de recherche Aajiiqatigiingniq.
Revitaliser la chasse à l’oie
En 2022, la Société Aqqiumavvik a réuni une équipe transdisciplinaire et interculturelle composée de chercheurs issus de la communauté et spécialistes des savoirs et valeurs inuit, de chercheurs en santé communautaire et en systèmes alimentaires traditionnels, de biologistes spécialisés dans l’écologie et l’écotoxicologie des oies, ainsi que de chasseurs expérimentés et d’aînés.
« Notre équipe a pour but d’étudier les interactions complexes entre la nutrition humaine et la santé des populations d’oies, la conservation des oiseaux migrateurs et les politiques de chasse, les économies de subsistance, ainsi que la sécurité alimentaire au Nunavut », explique Léna Bureau, doctorante en recherche communautaire en gestion de la faune nordique à l’université McGill.
Au cours du siècle dernier, plusieurs éléments ont affecté la relation des Arviarmiut avec les oies. Selon Nicole Stafiej et Léna Bureau, cela comprend notamment le changement climatique, les changements socio-économiques et les pratiques fédérales de gestion de la faune sauvage ; des enjeux qui ont entraîné une diminution drastique de leur consommation.
Entre 1920 et le milieu des années 1980, une législation stricte a interdit aux Inuit de chasser et consommer des oies, sauf dans un contexte de famine causant une surpopulation d’oies des neiges et d’oies de Ross. Face aux inquiétudes suscitées par cette surpopulation, de nombreux chasseurs d’oies et aînés d’Arviat ont exprimé leur intérêt pour une augmentation de la récolte d’oies et une potentielle commercialisation de ses produits dérivés.
« L’intérêt pour une revitalisation de cette chasse est aussi nourri par une volonté d’encourager la consommation dans la communauté de nourriture traditionnelle, riche en protéines et nutriments, faible en sucres raffinés et plus abordable que la nourriture industrielle disponible au magasin. »
Afin d’assurer la durabilité de cette chasse dans un contexte de réchauffement climatique et de changements globaux, un programme communautaire de suivis des populations d’oies a été initié dans le cadre de ce projet. Débuté en 2023, le processus d’évaluation de la santé de l’oie comprend l’examen des niveaux de contaminants dans les oies et de la pollution plastique dans les oies et leurs habitats.
La Société Aqqiumavvik étudie activement la possibilité de commercialiser les produits de l’oiseau. Lors de la conférence ArcticNet’s Arctic Change 2024, la Société a organisé une réunion interactive pour approfondir la compréhension collective de la façon dont les objectifs inuit de commercialisation de l’oie pourraient être avancés, dans le cadre des contraintes des accords, lois et politiques existants, tout en plaidant en faveur de leur modernisation.

La Société Aqqiumavvik étudie activement la possibilité de commercialiser les produits de l’oie.
La transmission intergénérationnelle
Représentant un vif succès, Léna Bureau affirme que le programme de formation des jeunes chasseurs est au cœur du processus de recherche. D’une durée de quelques semaines par session, ce programme offre une opportunité d’apprentissage à tous les jeunes de la communauté intéressés.
Encadrés par des mentors, les participants ont l’occasion de développer des compétences telles que la planification d’une sortie, la préparation et la réparation du matériel, les déplacements sécuritaires, l’acquisition de connaissances sur la faune, la flore et l’environnement et la préparation de nourriture traditionnelle.
Cette initiative contribue aussi à la formation de chercheurs locaux, en vue de mener des activités de recherche communautaire et de suivis environnementaux. « Dans le cadre du projet, les jeunes chasseurs sont formés aux méthodes de suivi des oies et à la mise en œuvre annuelle de protocoles scientifiques, avec le soutien de biologistes du Service canadien de la faune et d’Environnement et Changement climatique Canada », poursuit Léna Bureau.
Annuellement, ce programme assure la logistique et la réalisation de la campagne de terrain, incluant le baguage des oies, la prise de mesures morphométriques et biochimiques, le suivi de la reproduction, la dissection des oiseaux, ainsi que le prélèvement de tissus pour l’analyse des pathogènes, contaminants et des microplastiques.
« Grâce à ces campagnes de terrain, nous avons pu contribuer à améliorer de manière significative l’estimation des taux de survie des populations d’oies ainsi que démontrer que la majorité des mortalités liées à la chasse se produisent en dehors du Nunavut. »
Ces résultats permettent aussi à la communauté d’assurer la durabilité de la chasse à travers les années et de s’adapter aux fluctuations des populations. Pour Nicole Stafiej, bien que le projet de recherche actuel mette l’accent sur les oies, l’importance du maintien de la variété dans la préparation des aliments traditionnels dans la cuisine communautaire demeure essentielle.