«L’extinction de la biodiversité, la montée des eaux vont au-delà de ce qui se passe aux États-Unis. Tarifs ou non, chaque été, la planète devient de plus en plus chaude», lâchait en entrevue avec Francopresse un électeur francophone.
D’après un sondage réalisé en mars, 67 % de la population canadienne estime que le prochain gouvernement fédéral doit prioriser l’action climatique et la protection de la nature.
Pourtant, et ce malgré les appels d’une centaine d’élus municipaux – comprenant le maire de Jasper, en Alberta, ravagée par les feux de forêt l’an dernier – et les questions de groupes environnementaux adressées aux principaux partis fédéraux, les questions de climat ont été largement absentes pendant cette campagne électorale, ou presque.
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« C’est un recul »
Entre les deux principaux enjeux du moment, soit le cout de la vie et les tensions avec les États-Unis, Hugo Séguin, conseiller principal chez COPTICOM, une firme de relations publiques spécialisée en environnement, n’est pas surpris que l’environnement passe au second plan de cette élection « exceptionnelle ».
« On parle très très peu d’environnement dans cette campagne et on en parle de façon négative. » Il cite le développement de projets de transport d’hydrocarbures ou la fin de la tarification du carbone pour les consommateurs, premier geste posé par le premier ministre Mark Carney. «C’est un recul au niveau des politiques environnementales», assène-t-il.
« L’arrivée de projets pour faire du Canada une superpuissance énergétique, c’est bien quand c’est une superpuissance énergétique verte, mais dans la mesure où le premier ministre Carney a inclus aussi les [énergies] fossiles, c’est difficile à réconcilier avec une forte volonté de lutter contre les changements climatiques. »
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Il souligne néanmoins le fait que tous les partis fédéraux – à l’exception du Parti conservateur – proposent « des plateformes environnementales quand même étoffées ».
Mais l’exception ne fait pas la règle.

« La posture actuelle du gouvernement fédéral américain et son hostilité envers toutes mesures mises en place pour protéger l’environnement ont des répercussions à l’extérieur des frontières américaines », dit Hugo Séguin de COPTICOM
« On en parle sans en parler »
« On n’est pas dans la campagne de 2019 qui était pratiquement une élection dont la question de l’urne était l’environnement, mais [l’environnement] est interrelié avec tellement d’autres dossiers », remarque de son côté l’analyste principale des politiques pour le Québec à la Fondation David Suzuki, Andréanne Brazeau.
Pour elle, l’environnement a bel et bien été présent pendant cette campagne, mais de manière indirecte : «On en parle sans en parler.»
« On sait que l’environnement et le climat, c’est absolument lié au cout de la vie parce que plus les changements climatiques s’accélèrent, plus cela a des impacts sur ce qui nous fait vivre », explique-t-elle.
L’environnement regroupe en outre une multitude de sujets – pollution, biodiversité, climat… – et, selon elle, cette question mériterait d’être davantage décomposée.
« Quand il y a des sondages sur les priorités électorales des gens, on ne parle pas simplement d’économie; ça va être le cout de la vie, les inégalités entre les classes, etc., il y a comme un niveau de précision qui n’est pas là pour l’environnement », illustre la spécialiste.

Selon Andréanne Brazeau, « On voit que l’industrie des énergies fossiles se saisit de la crise actuelle pour ressortir ses vieilles recettes, c’est-à-dire de mettre de l’avant les pipelines et les projets d’industrie fossile »
Économie versus environnement
« Déjà dans les semaines qui ont précédé la campagne, on a parlé énormément d’enjeux énergétiques […], mais de façon purement économique, sans peut-être considérer que les enjeux environnementaux sont transversaux », souligne l’analyste en politiques climatiques et énergétiques chez Équiterre, Charles-Édouard Têtu.
Pour lui, on peut répondre aux crises du cout de la vie ou du logement « par des politiques climatiques ambitieuses » : « On a peut-être perdu de vue que la crise climatique a un impact concret sur les dépenses des familles. »
Quand les gens pensent priorité, ils pensent : « Qu’est-ce qu’il va faire dans mon portefeuille aujourd’hui », relève le professeur agrégé au département de politique et de relations internationales de l’Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick, Mario Levesque. Avec en ligne de mire les factures de la fin du mois plutôt qu’une échéance à 30, 50 ans.
« Ils ont beaucoup peur. Ils ont peur que la guerre économique continue. “Est-ce que je vais avoir une job? Qui va payer le loyer, qui va payer l’hypothèque?” »
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« Pendant la campagne, autant dans les médias que du côté des différents partis qui souhaitent constituer le prochain gouvernement, l’environnement est complètement laissé de côté. », déplore Charles-Édouard Têtu chez Équiterre.
Manque de clarté
Charles-Édouard Têtu explique que les électeurs ont parfois du mal à voir en quoi les politiques environnementales les concernent directement. Selon lui, les partis devraient faire preuve de plus de pédagogie et parler des couts de l’inaction environnementale. « Peut-être que c’est moins tentant de parler d’investissement en adaptation, mais l’argent qu’on investit aujourd’hui fait en sorte que ça nous coute moins cher dans l’avenir. »
« Les partis ont en général des engagements qui demeurent trop flous et trop timides », considère Andréanne Brazeau. Elle estime que l’électorat a besoin de plus de clarté.
« Le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Ce qu’il nous faut, ce sont des plans clairs pour y arriver, poursuit-elle. On n’a pas parlé de ce qui pourrait remplacer la tarification du carbone et ça, c’est une grande lacune de la campagne. »
« On a toujours besoin d’une catastrophe avant que le gouvernement agisse. Ce n’est pas une bonne manière pour avancer ou gouverner. Il est juste comme des pompiers. Il voit un feu, ok, il y va et il essaie de l’éteindre. Mais ça ne nous donne pas des plans à long terme », complète Mario Levesque.

Pour le politologue Mario Levesque, le fait de ne pas axer cette élection sur l’environnement relève aussi d’un calcul électoral des libéraux, qui cherchent à séduire des électeurs conservateurs dans l’Ouest.
Et après?
« Les politiques environnementales fédérales pourraient pâtir de la campagne électorale actuelle », estime Hugo Séguin.
Charles-Édouard Têtu craint que l’abolition de la taxe carbone ouvre la porte « à d’autres reculs » et mettre davantage de pression sur les acquis des politiques climatiques au sein des provinces.
Mais l’analyste veut croit que la population réagira : « Lorsque le parti qui composera le prochain gouvernement va vouloir mettre en place la réponse à Donald Trump, si ça passe par exemple par la construction d’infrastructures d’énergie fossile, par l’augmentation et la hausse de la production de pétrole, c’est là qu’on va peut-être voir une mobilisation citoyenne autour de la lutte au changement climatique. »
« Ce n’est pas parce qu’il y a eu une éclipse au cours de la campagne électorale actuelle que le niveau de préoccupation des Canadiens et des Canadiennes envers l’environnement va s’évaporer du jour au lendemain », rappelle Hugo Suégin.
Néanmoins, intégrer ces inquiétudes à celles du quotidien, « ça prend du temps », concède-t-il.
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