S’ils savent que l’économie sera la question de l’urne, les organismes franco-canadiens espèrent des engagements clairs des partis en faveur de la francophonie en cette campagne électorale. Car il s’agit de la meilleure façon d’assurer la souveraineté culturelle du Canada en ces temps de guerre commerciale avec les États-Unis, affirment-ils.
« Lorsqu’on parle des différences entre les Canadiens et les Américains, la francophonie et la diversité linguistique au Canada en font partie », dit Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).
Le p.-d.g. du Réseau de développement et d’employabilité du Canada (RDEE Canada), Yan Plante, est du même avis. Avec la menace tarifaire actuelle, il espère que les partis feront des promesses économiques à la francophonie canadienne. « Dans une communauté où on veut que le français perdure, il faut développer l’économie. C’est le fondement de la maison », dit-il.
La Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario et l’Alliance de la francophonie économique canadienne demandent d’ailleurs la création d’un fonds d’investissement, en collaboration avec la Banque de développement du Canada, pour contribuer au développement des PME francophones.
Immigration économique et éducation
Comme l’ensemble des organismes rencontrés par Le Devoir, ils souhaitent voir l’immigration économique francophone et la reconnaissance des acquis des nouveaux arrivants être bonifiées. La pénurie de personnel francophone dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la petite enfance est grande ; les services en français sont donc plus difficilement accessibles.
En 2023, 5 % des immigrants accueillis au pays étaient francophones. C’était la première fois en 30 ans qu’Ottawa atteignait sa cible d’immigration francophone. En 2024, il l’a dépassé de 1,2 point de pourcentage, en atteignant 7,2 %. La FCFA espère une cible de 12 % en immigration francophone dès 2026, ainsi qu’un meilleur appui des services d’accueil. « Mais on ne veut pas voir baisser le seuil national, sinon notre cible ne sera plus bonne », note Mme Roy.
La solution à la pénurie de main-d’œuvre francophone passe aussi par l’accès à l’éducation, note la FCFA. Selon l’organisme, quelque 300 000 enfants ne fréquentent pas l’école en français bien que leur droit de le faire leur soit garanti. Mais même si ces jeunes optaient pour une école francophone, ils ne pourraient vraisemblablement pas bénéficier de la même qualité d’éducation, puisqu’il manquerait 10 000 enseignants, toujours selon la FCFA.
Du côté de la petite enfance, le fédéral a adopté en janvier 2024 un projet de loi garantissant la mise en place de garderies à 10 $ par jour partout au pays. Des 141 635 enfants francophones de 4 ans ou moins dénombrés hors Québec dans le recensement de 2021, seulement 20 % d’entre eux avaient une place dans un service de garde en français.
De leur côté, certaines universités francophones du Canada attendent toujours du financement, dont l’Université de Sudbury, en Ontario. En 2022, l’Université Laurentienne, présente dans cette même ville, s’était placée à l’abri des créanciers et avait aboli plusieurs programmes francophones. Plusieurs étudiants ont alors dû changer de ville pour poursuivre leur parcours universitaire.
Questions culturelles
Pour Nancy Juneau, présidente du conseil d’administration de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), le contexte actuel de guerre commerciale peut aussi représenter une occasion pour le monde de la culture. Car investir dans la culture, c’est investir contre l’hégémonie culturelle américaine, dit-elle. « Il n’y aura jamais eu de moment dans l’histoire canadienne où la culture aura été plus importante. Il faut nourrir et soutenir le sentiment d’appartenance. »
La FCFF souhaite une bonification de l’enveloppe accordée au Conseil des arts du Canada et à l’Office national du film du Canada — ainsi qu’au ministère de la Culture et de l’Identité canadiennes en général. « Nos organismes sont portés à bout de bras. Il faut renforcer l’accès des artistes au filet social canadien », dit Mme Juneau.
La présidente du CA de la FCFF s’inquiète aussi de la promesse conservatrice de « définancer » CBC. « Radio-Canada dessert des communautés qui n’auraient pas accès à l’information autrement. C’est un service essentiel », note Mme Juneau. Les dirigeants de la société d’État ont répété à plusieurs reprises que dégarnir le financement de CBC affecterait aussi Radio-Canada, car ses deux volets utilisent souvent les mêmes ressources hors Québec.
Mercredi 26 mars, de passage à Québec, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a de nouveau promis que les services francophones de CBC/Radio-Canada ne seraient pas touchés par une telle mesure, sans préciser comment.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.