le Vendredi 18 avril 2025
le Mercredi 2 avril 2025 8:00 Arctique

Les chuchoteuses et les chuchoteurs de la banquise

À Whitehorse, Rébecca Fico pose avec Guillaume Grima à l’issue de l’entrevue. — Crédit : Nelly Guidici
À Whitehorse, Rébecca Fico pose avec Guillaume Grima à l’issue de l’entrevue.
Crédit : Nelly Guidici
Arrivé second de la course Montane Yukon Arctic Ultra, Guillaume Grima a parcouru 600 km à pied en huit jours, terminant 2e derrière le vainqueur Mathieu Blanchard. Créée en 2003, cette course UltraTrail a lieu tous les ans au Yukon, dans des conditions difficiles. Quatre étudiantes et étudiants francophones des territoires ont eu l’occasion de le rencontrer pour une entrevue.
Les chuchoteuses et les chuchoteurs de la banquise
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Dans le cadre de cet atelier radiophonique panterritorial mis en œuvre par les rédactions des médias francophones des trois territoires, les chuchoteuses et chuchoteurs de la banquise Rébecca Fico à Whitehorse, Sokhna Asta Mbacke et Sylvanie Kemche-Wache à Yellowknife ainsi qu’Arthur Lagacé à Iqaluit, ont posé plusieurs questions à l’athlète au sujet de cette course emblématique, mais aussi sur son parcours sportif.

À Yellowknife, Sokhna Asta Mbacke et Sylvanie Kemche-Wache à Yellowknife se sont prêtées avec joie à l’exercice de l’entrevue journalistique, accompagnées d’André Beaupré, moniteur de langue.

Crédit : Élodie Roy

Comment t’es-tu entrainé pour cette course ?

Il y a un peu une routine d’entrainement de base où je vais juste aller courir pour le plaisir, faire un peu de renforcement musculaire et après selon les courses que je prépare et leurs profils, je me prépare plus spécifiquement. Là, je me suis entrainé un peu plus en montagne pour faire du dénivelé. La Yukon Arctic Ultra est spéciale parce qu’on tire une pulka. Il y a aussi le froid et le sommeil qui rentrent en jeu parce que c’est très long. On dort pendant la course. Ce sont tous ces éléments que j’ai travaillés à l’entrainement. Je m’entrainais avec ma pulka derrière. Je mettais une grosse buche de bois dedans, pour faire du poids. J’ai dormi dehors pour m’entrainer, je faisais des campings dans la neige.

Qu’est-ce qui t’a motivé à y participer ?

J’aime beaucoup le froid. Je viens des Alpes, en France, donc en montagne. Je préfère quand même l’hiver à l’été. Je suis arrivé au Canada il y a deux ans et demi, je ne connaissais pas du tout ce genre de course avant mon arrivée au Yukon en 2022. Ça m’a intéressé, je me suis un peu renseigné et il y a deux ans, en 2023, j’ai participé aux 150 kilomètres de la Yukon Arctic Ultra pour la découvrir. Ça m’a beaucoup plu et deux ans plus tard je suis revenu pour faire la grande distance de 600 kilomètres.

Est-ce que tu peux nous partager ton vécu de cette épreuve ?

Le confort, il n’y en avait pas beaucoup, on est justement dans l’inconfort tout le temps, chaque seconde. Il y a très peu de moments de repos, où on est vraiment au chaud, bien reposé. Il faut aussi gérer le froid. On a eu très très froid sur cette course-là cette année avec des températures jusqu’à moins 48 sur l’avant-dernière nuit. La température moyenne était plutôt entre – 32 et -35. Il faut toujours faire attention à soi, pour vérifier si on n’a pas trop froid, si on sent encore nos pieds, nos mains, et même les oreilles, le nez. Il faut s’écouter, bien manger, bien boire et puis s’il y a quelque chose qui ne va pas, essayer de réagir assez vite pour voir comment on peut régler le problème pour continuer et avancer dans les meilleures conditions possibles.

Départ de la Montane Yukon Arctic Ultra.

Crédit : Vincent Lapierre

Depuis combien de temps pratiques-tu cette discipline ?

J’ai participé à ma première course de trail en 2007. J’avais 17-18 ans. C’était un petit trail chez moi de 12 km avec 600 mètres de dénivelé. J’avais participé avec ma maman, qui court aussi. Depuis, j’ai toujours un peu couru. En fait depuis que je suis arrivé au Canada, je me suis vraiment intéressé à la course, dans un entrainement plus à long terme. C’est un peu ce qui m’a emmené jusqu’à cette course cette année.

As-tu eu des moments vraiment difficiles, est-ce que tu as eu envie d’abandonner ?

L’abandon, pas vraiment. Parce que personnellement, chaque fois que je commence une course, je suis très motivé à la terminer. Donc en fait, si je n’ai pas réellement de blessure, je n’ai pas de réelle raison d’arrêter. C’est aussi pour ça qu’on fait ce genre de course, pour aller tester, trouver ses limites, voir de quoi on est capable. Tant qu’on n’a pas de réelle raison d’abandonner, on pense à des choses positives et puis on continue.

Quel aspect de la course t’a particulièrement plu ou déplu ?

Ce qui m’a le plus plu, c’est la rencontre avec les autres athlètes. On ne se voit pas beaucoup pendant la course, mais on a quelques jours où on se rencontre, où on a des breffages. Ça permet d’échanger avec d’autres athlètes, de voir comment eux se sont préparés. Et puis après, pendant l’épreuve, on se croise de temps en temps, on partage quelques kilomètres. Donc ça permet d’avoir le ressenti un peu de chacun à certains moments. Bien sûr, on est concurrents entre nous, mais il y a quand même cette affaire de partage parce qu’on est dans la même galère, c’est plaisant. Après ce qui m’a déplu, c’est de ne pas avoir su le dénivelé exact qu’on allait devoir affronter. On nous avait dit que c’était un tout nouveau parcours, avec 7000 ou 8000 mètres de dénivelé. Finalement il y en avait plus de 11 000. C’était plus dur que prévu.

À Iqaluit, Arthur Lagacé a posé ses questions depuis les locaux de CFRT, la radio francophone du territoire. 

Crédit : Brice Ivanovic

Est-ce que tu as eu des relations particulières avec les autres participants ? Notamment du gagnant, avec qui tu as été très proche ?

Je suis parti un peu devant dès le début, avec Mathieu Blanchard, qui est franco-canadien. Les 180-200 premiers kilomètres, c’est vrai qu’on était un peu côte à côte. Il avançait plus vite que moi mais on se rejoignait aux points de passage à chaque fois. J’ai croisé d’autres participants dans la nuit, donc c’était bien de croiser quelqu’un après plusieurs heures tout seul. On se dit bon courage pour la suite et puis après chacun repart de son côté, mais pour revenir à Mathieu c’est vrai que l’avant-dernier jour on s’est croisé à la sortie d’un point de contrôle. C’était vraiment beau ce moment parce qu’on venait de passer tous les deux une nuit compliquée, c’était la nuit la plus froide et donc quand on s’est vus, on s’est pris dans les bras, on était vraiment content de se retrouver. On avait échangé quelques mots avant de repartir pour la dernière section avant l’arrivée.

 On se demandait comment tu t’es senti à l’arrivée. Est-ce que tu savais que tu étais deuxième ?

Oui, je savais que j’étais deuxième, parce qu’on n’était pas nombreux au départ, donc très vite on sait à peu près à quelle place on se trouve. Il y a eu beaucoup d’abandons sur la course, notamment dès le premier point de contrôle. Et en fait je savais déjà que quand j’allais arriver, on était plus que quatre ou cinq coureurs, donc je savais qu’il n’y avait que Mathieu devant moi. J’ai essayé de profiter de chaque kilomètre, de chaque seconde parce que ça allait bientôt s’arrêter. Dès que tu passes la ligne d’arrivée, ça y est l’aventure est finie.

Articles de l’Arctique : une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’AquilonL’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.