le Vendredi 18 avril 2025
le Mercredi 19 février 2025 8:00 Arctique

L’Ungava fait son cirque

La performeuse Minnie Ningiuruvik dans un extrait en plein air du numéro Atsaniu Tarninga, intégré à ce spectacle de septembre 2024. — Crédit : François Bellemare
La performeuse Minnie Ningiuruvik dans un extrait en plein air du numéro Atsaniu Tarninga, intégré à ce spectacle de septembre 2024.
Crédit : François Bellemare
Fondé en 2018 par un groupe de jeunes du Nunavik, le cirque TUPIQ ACT se présente comme la vitrine circassienne de la culture inuit. Originaire de la baie d’Ungava, son initiateur Charlie Gordon, alias Saali Kuata, évoque l’acrobatique parcours de la troupe née en 2018 de l’imaginaire nunavikois.
L’Ungava fait son cirque
00:00 00:00

Projet journalistique Nunavik 1975-2025

Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), l’auteur nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.

Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.

Tupiq a essaimé de Circiniq, un OBNL qui se définit comme un cirque social, dans le sens où la performance pure y cède le pas au processus même d’apprentissage. Au cœur de ce creuset de création a germé le projet Tupiq ACT. Le premier terme identifie la tente inuite des temps semi-nomades (suggérant un chapiteau de cirque) et le reste est l’acronyme de Arctic Circus Troup, dont Saali résume sobrement le parcours :

« Après avoir complété mon secondaire à Kuujjuaq, où j’ai grandi, je suis venu étudier au Cégep John-Abbott, à Montréal. En parallèle, je participais aux sessions annuelles de Circiniq, pour développer mes compétences en cirque… et rêver à une suite. Pourquoi ne pas imaginer un produit dérivé ? Pourquoi ne pas lancer notre propre troupe ? »

— Saali Kuata, initiateur du cirque TUPIQ ACT

Fable, conte, humour, monologue…

Avec la mission de promouvoir l’art, les traditions, la langue et la culture inuit, Tupiq crée différents numéros de durée typique de 30 à 45 minutes. Selon l’occasion (auditoire jeunesse, public scolaire ou adulte), chaque spectacle pourra ainsi combiner différents numéros. Qui ne seront pas nécessairement tous des séquences de haute voltige ; certains « tableaux » tendent plutôt ainsi vers la fable, le conte, l’humour ou le monologue. Mais en affichant toujours en arrière-plan une palette de références à l’Inuitie.

La troupe Tupiq performe souvent en mode de fable entre l’humain et l’animal.

Crédit : François Bellemare

Prestations, stages et ateliers

Des exemples ? Le très acrobatique numéro Tupituqiq, la douce animation des Légendes inuites, ou la romantique prestation Atsaniu Tarninga, présentée en couple sous chapiteau. Bref, une large variété d’énergie circassienne. La troupe donne également des stages de formation ou de perfectionnement, des ateliers de chant de gorge, de danse au tambour, ou de Jeux dénés, cette compétition d’exercices et de jeux d’habileté traditionnels du Grand Nord. Et marie ainsi la performance au ressenti interculturel.

« On se garde du temps pour la création, poursuit Saali. L’un de nous arrive avec une idée, basée soit sur la performance, soit sur un récit. On développe alors ensemble le tout vers un possible nouveau numéro. Derrière chaque création, se cache un processus très exigeant, assez long », ajoute-t-il.

« La réalité du cirque suppose d’inévitables frais de production assez substantiels, sans compter l’enjeu budgétaire de maintenir un espace de dimensions suffisantes pour la répétition d’acrobaties – avec son lot de gestion de risque, de blessures, de déconvenues diverses, d’inspirations et de nouveaux départs »

— Charlie Gordon, alias Saali Kuata.

On imagine la dose hebdomadaire d’énergie qui doit celui qui participe aussi à l’occasion aux spectacles de la troupe montréalaise Les 7 doigts de la main.

 À quand des représentations au Nord ?

De plus, il gére un programme de bourses artistiques de l’institut Avataq, la branche culturelle de la constellation d’instances modernes qu’ont généré les Inuit au fil des dernières décennies. Autour du binôme de Saali et Winnie, Tupiq Act a connu au fil des ans une constante fluctuation de ses effectifs, tout en restant basée à Montréal – ce « village » comptant quelque 2000 Inuit. Leurs prestations sont livrées surtout au Sud du Québec, ou dans les provinces limitrophes ; mais pas encore au Nunavik. « Bientôt peut-être, jouerons-nous au Nord ; pour le moment, on est simplement débordés », conclut Saali Kuata.

Pour des extraits vidéo du cirque Tupiq Act, voir https://tupiqact.com/

Les plus et les moins de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois

Si on renégociait l’ensemble de la CBJNQ, que conserver ? Que changer en priorité ? Saali Kuata répond :

« La première chose que je voudrais voir changer, c’est le narratif même de cette « Convention » entre les Inuit et les sociétés du Sud. De quoi donc aurions-nous convenu ? Pourquoi nous appeler les « bénéficiaires » de la CBJNQ ? N’en sommes-nous pas plutôt les bienfaiteurs ? Dans le sens où c’est nous qui avons cédé au Québec les eaux et les terres du Grand Nord, qui génèrent des milliards de dollars en exportation d’électricité par Hydro-Québec ».

« Au Nunavik, nous manquons encore d’accès à l’information, pour développera les incitatifs au développement local, à la création d’entreprises d’avenir. La prospérité, ce n’est pas seulement les activités de chasse et pêche ! Bien sûr, nous apprécions les avantages de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, tout ça… Mais ce passage forcé à la modernité génère, encore aujourd’hui, beaucoup de problèmes de santé mentale, de santé sociale, de violence, de dépendances de toutes sortes, de tout ce qui nous détruit ».

« Évidemment, il faut revoir le régime foncier; la Convention nous a enlevé le contrôle de la plus grande partie du Nunavik ! Mais au-delà, il nous faut fuir les schémas destructifs, refuser l’assimilation, retrouver ce que nous sommes profondément. Il nous faut nous répéter encore et encore ce que nous sommes véritablement. Pour pouvoir mieux s’occuper de nos frères et de nos sœurs; bref, nous réapproprier ce que nous sommes ».