
Projet journalistique Nunavik 1975-2025
Grâce à une bourse d’excellence octroyée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), l’auteur nous livre une série de reportages ou entrevues exclusifs sur le Nunavik, cette région au Grand Nord du Québec.
Ce titre général évoque l’imminent 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), dont sont issues les instances actuelles du Nunavik.
Siégeant depuis des lunes au Conseil municipal d’Aupaluk, cette grand-mère fait partie de la mémoire vive d’une communauté ayant survécu à bien des bouleversements. Née en 1963, elle est enfant d’Inuit semi-nomades qui fréquentaient la zone juste au nord de la frontière Québec-Labrador. Dans le camp saisonnier de l’île de Killiniq, Eva est l’une des dernières de sa fratrie à naitre dans un cadre traditionnel.
« Comme ma mère a accouché de moi en novembre, ça s’est passé sous la tente. Deux mois plus tard, et je serais née dans un iglou, comme beaucoup d’autres de mon âge » rappelle-t-elle en souriant.
Mais peu après, ils sont délocalisés vers la Baie d’Ungava, alternant entre Kangirsuk et l’ancien site d’Aupaluk, un peu plus au sud. Or, cette étroite bande de territoire classée Catégorie I (donc en théorie sous le contrôle direct des Inuit, selon la CBJNQ) est entourée de portions de terres de Catégorie III, là où les concessions accordées aux compagnies minières ont force de loi presque absolue. Comme le découpage du Nunavik classe l’immense majorité de son territoire sous cette dernière catégorie, les « claims » miniers y détiennent plus de droits que les Inuit n’en ont eux-mêmes.
Âgée alors de dix-sept ans, Eva se souvient :
« L’ancien site d’Aupaluk, du temps de ma jeunesse, était situé sur une bande de terre trop exiguë pour un quelconque développement. La communauté a donc accepté à contrecœur de déménager ici, de l’autre côté de la baie, où on nous offrait une section plus étendue, de Catégorie I »
Il est vrai qu’à cette occasion, représentants locaux (conseil municipal et corporation foncière) ont participé au plan d’aménagement du site actuel.
« On a placé la section résidentielle sur la pente douce qui descend vers la baie, et la section plus industrielle (dépôt de carburant, réservoir d’eau potable, coop, édifices municipaux) de l’autre côté, pour les éloigner des habitations. À cette étape, oui, on a eu un certain contrôle ».
La supposée « transition choisie » de la vie semi-nomade d’un peuple de chasseurs-cueilleurs vers la sédentarité, avec participation de la population au plan d’urbanisme ?
« C’est une fable. La vérité, c’est qu’on n’a pas eu le choix. Et la pression ne venait pas en premier lieu du gouvernement québécois, mais bien des compagnies minières ! » rétorque l’aînée.

Carte illustrant la délocalisation en 1953 des familles d’Inukjuaq vers Grise Fjord et Resolute dans l’actuel Nunavut, alors complètement inhabitées de toute population autochtone.
L’épais dossier des « relocalisations » par le Canada de populations autochtones
Aupaluk n’est pas le seul cas au Canada où des populations autochtones ont été « relocalisées », et certainement pas le pire. L’un des plus graves est celui survenu en 1953, lors du déménagement forcé vers le Haut-Arctique d’une centaine de personnes venant des régions d’Inukjuaq (dans le futur Nunavik, au nord du Québec) et de Pond Inlet sur la Terre de Baffin (maintenant Mittimatalik, au Nunavut).
Sous les faux prétextes d’une vie meilleure dans un environnement d’abondance pour la chasse, une dizaine de familles inuit servirent en fait de simples pions sur l’échiquier diplomatique du gouvernement fédéral, comme « panneaux de signalisation » de la souveraineté canadienne sur l’archipel Arctique, alors convoité par le Danemark, les États-Unis ou la Russie. Un triste chapitre de l’Histoire du Canada envers « ses » peuples autochtones.